Séries d'été 2023

[Rentrée littéraire 1/7] Hugo Lindenberg, l’autre comme fiction

Pascal Ito - Flammarion

[Rentrée littéraire 1/7] Hugo Lindenberg, l’autre comme fiction

Tout l’été, Livres Hebdo vous propose des interviews d'auteurs et d'autrices de la rentrée littéraire. C’est à Hugo Lindenberg, pour La nuit imaginaire, chez Flammarion, qu’il revient d’ouvrir la série. Remarqué en 2020 pour son premier roman Un jour ce sera vide, l’auteur continue d’explorer la thématique de la rencontre, enrichie cette fois par celle du désir.

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Par Propos recueillis par Sean Rose
Créé le 21.07.2023 à 11h20 ,
Mis à jour le 18.08.2023 à 15h27

Vous avez remporté le prix Inter 2021 avec votre premier roman Un jour ce sera vide (Christian Bourgois), ce succès vous a-t-il inhibé pour votre deuxième ?

J’avais commencé à écrire La nuit imaginaire au moment où j’ai envoyé le manuscrit du premier roman. J’avais déjà l’idée de quelque chose autour de la nuit, et aussi sur la mort, la mort comme événement – le narrateur a perdu sa mère et enquête sur son suicide. Dans Un jour ce sera vide un personnage dit « la mort comment ? ». Quand j’écris, je suis dans l’écriture, je ne pense pas spécialement à ce qui se passera autour du livre. Bien sûr, certains avis comptent pour moi… Sinon, lors de la rédaction de ce roman, je dirais, au contraire, qu’avoir reçu ce prix m’a plutôt porté.

 

Au motif récurrent du personnage se sentant différent des autres s’ajoute ici le thème du désir…

Si le narrateur est un orphelin, et s’il apparaît comme un personnage tel une île, complètement coupé des autres, il s’agit bien d’un livre sur la rencontre. À la fois rencontre de cette mère disparue à travers ces femmes liées d’une manière ou d’une autre à elle, et rencontre avec son propre désir en allant dans ce club le Hangar… Il pourrait s’arrêter là, ne pas aller au-delà de ces entretiens ou des relations sexuelles. Les histoires des femmes font écho à sa propre histoire, dans les back-rooms du Hangar il y a plus que des corps qui se frôlent de manière anonyme. Chaque fois il advient quelque chose qui est une rencontre. Au moment où les raisons du suicide de sa mère le troublent, il est sauvé justement du fait d’être capable de rencontre…

 

Alors cette nuit n’est pas si imaginaire, pourquoi ce titre ?

L’imaginaire est essentiel. L’autre comme fiction, j’avais écrit ça quelque part dans mes notes préparatoires au roman. Angoisse, fantasme, désir… On projette toujours sur l’autre quelque chose, et inversement. La rencontre se produit entre deux imaginaires. Lorsque le héros sonne à la porte de cette femme qui a connu sa mère, il se dit : « Et si c’était ma mère ? ». C’est parce que son amie Mona mentionne ce club du Marais qu’un ami à elle fréquente, « une boîte de nuit sous laquelle il y a un labyrinthe », que son imagination s’enflamme… Cela n’empêche pas le trajet vers le réel, car la vraie question qui se pose est : comment être présent. À autrui, à soi-même. Pour avaler la réalité – la matérialité de la mort de sa mère, son désir qu’il n’assume pas au début, il a besoin de passer par des masques, mais on fait tous ça.

 

Ne pas assumer son désir, n’est-ce pas une attitude qui appartient à une autre époque peut-être moins fluide, et sans les applications de rencontre ?

De tout temps, le désir peut être compliqué. Mais c’est vrai, j’ai voulu que l’histoire commence au tournant des années 2000, vers le moment de la sortie de Génie divin de Guillaume Dustan. Je souhaitais représenter la nuit avant les « applis », ce qu’elle a pu signifier pour moi – l’envers du quotidien. On sortait et on pouvait rencontrer quelqu’un, mais sortir c’était surtout se retirer du monde. La nuit était un espace d’expérimentation, de réflexion, d’observation… c’était un hors-temps, ou un temps qui s’étire à l’infini. Ce temps-là, cette innocence de la nuit, n’existe plus à cause des téléphones (d’ailleurs dans le roman, celui du narrateur est déchargé) et des attentats.

 

Par cette voix d’adolescent cultivé, imbu de références littéraires et cinématographiques, votre écriture se déploie de manière plus complexe…

Je ne l’ai pas conscientisé, j’écris par intuition, avec des feux au loin. Mais un récit du point de vue d’un enfant comme dans mon premier roman a ses limitations. Ici, le narrateur est d’une singularité plus affirmée. L’enjeu a été de rendre la cruauté du personnage parce que la jeunesse est cruelle, mais aussi cette idée que, dans la jeunesse, les fictions vous construisent autant que les choses que vous vivez.

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