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Rentrée BD : Un savoureux mélange de genres

Festival de la bande dessinée d'Angoulême - Photo Olivier Dion

Rentrée BD : Un savoureux mélange de genres

Alors que le nouvel Astérix inondera les librairies et que le manga s'affirme, mois après mois, comme le segment le plus dynamique, avec des tirages décoiffants, la bande dessinée propose en cette rentrée une belle diversité, en fictions comme en documents.

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Par Benjamin Roure
Créé le 09.09.2021 à 13h04

À l'instar du manga One Piece, dont le centième tome événement arrivera juste avant Noël, la crise sanitaire ne voit pas son dénouement. Et pourtant, la rentrée BD conserve enthousiasme et dynamisme, et se pare d'une variété affirmée. Ainsi, si la bande dessinée du réel - témoignages, documentaires, etc. - s'installe durablement, on note en cet automne 2021 un franc retour du genre dans le rayon.

Fluidité des genres

À commencer par la science-fiction et le fantastique, incarnés notamment par la résurrection de la revue Métal Hurlant avec un casting 5 étoiles : Ugo Bienvenu, Mathieu Bablet, Fabien Vehlmann, Merwan, Brian Michael Bendis...

Côté mangas, bien sûr, le rayon regorge de titres phares, dont l'ultime volume de L'attaque des titans (Pika), le blockbuster Kaiju n°8 chez Kazé ou la création orginale de Ki-oon baptisée Léviathan. Mais aussi en Europe, avec les suites de Negalyod de Vincent Perriot et de Bug d'Enki Bilal chez Casterman, du Dernier Atlas chez Dupuis et de Renaissance et Elecboy chez Dargaud. La filiale de Média-Participations proposera aussi des visions d'auteur, avec La part merveilleuse de Ruppert et Mulot, ou Agughia d'Hugues Micol.

One Piece, dont le centième tome événement arrivera juste avant Noël.- Photo ONE PIECE © 1997 BY EIICHIRO ODA / SHUEISHA INC.


Cible adolescente et young adult pour Urbex (Le Lombard) et la bande dessinée américaine Huntr (Albin Michel) tandis que Delcourt partira dans l'espace avec Astra Saga et Kosmos, ou chez les Monstres de Barry Windsor-Smith. Le contingent SF sera aussi consolidé par plusieurs sorties aux Humanoïdes associés, dont le comics Space Bastards, l'adaptation du Sang des immortels de Laurent Gennefort ou un dérivé de la série culte de Moebius et Jodorowsky : L'Incal : Kill-tête-de-chien, par des auteurs américains. Glénat proposera Le dernier livre et Bettie Hunter, tandis que Drakoo (label de Bamboo) programme Teleportation Inc. Mêmes chez les indépendants, l'imaginaire bouillonne avec la suite de Dédales de Charles Burns (Cornélius), Un visage familier de Michael Deforge et Total Résistance de Helge Reumann (Atrabile), Mater de Stanislas Moussé (Le Tripode) ou Énergies noires de Jesse Jacobs et Volt évier z82 d'EMG (Tanibis).

 

Ecoute jolie Marcia-Marcello Quintanilha- Photo © ÇA ET LÀ


Enfin, la fantasy n'est pas en reste, avec chez Glénat Les brumes écarlates et le projet de Sfar et Keramidas, Commando Barbare. Ou l'alléchant Fang chez les Humanos. Par ailleurs, plusieurs albums aux confins des genres, proches de fables intemporelles, font pétiller le programme, tels La Bibliomule de Cordoue par Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau, La désolation d'Appollo et Christophe Gaultier, Sousbrouillard d'Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg, Feuilles volantes d'Alexandre Clérisse (tous chez Dargaud), Le sel et le ciel de Marc-Antoine Mathieu (L'Association), Chen, les enfants perdus d'Aurélien Ducoudray et Antoine Dodé (Glénat) ou l'ébouriffant premier livre de Léa Murawiec, Le grand vide (éditions 2024).

Le polar rallume la lumière

Qui dit genre dit aussi noir, forcément. Et alors que la production polar en BD était quelque peu ralentie ces dernières années, 2021 marque un revival notable. Avec en tête d'affiche le lancement de la tétralogie Saint-Elme de Frederik Peeters et Serge Lehman, chez Delcourt, qui publiera aussi Reckless (Brubaker et Phillips) et L'autopsie d'un imposteur (Zabus et Campi). Poids lourds aussi chez Ankama, avec la suite de Dans la tête de Sherlock Holmes, et chez Dargaud, avec le nouveau Blacksad et un one-shot de Marini, Noir burlesque. Autres enquêtes prometteuses : Par la forêt, par Jean-Christope Chauzy et Anthony Pastor (Casterman), Sous les galets la plage de Pascal Rabaté (Rue de Sèvres), ou encore le percutant L'échelle de Richter (Gallimard), Clapas et Kill Annie Wong (Sarbacane), ou les plus historiques La trilogie berlinoise première adaptation des romans de Philippe Kerr (Les Arènes), La vie souterraine (Les Requins marteaux) ou La petite voleuse de la Tour Eiffel (Bamboo). Enfin, saluons le retour du spécialiste brésilien du genre, Marcelo Quintanilha, avec Ecoute, jolie Márcia (Çà et là). Pika propose même un Taniguchi inédit, Un assassin à New York.

L'attaque des titans, qui a bondi avec la diffusion du dessin animé sur Netflix, connaît son dénouement cet automne.- Photo © PIKA

Ajoutons, pour conclure sur la BD de genre, que le western survit, avec, outre la suite d'Undertaker, Dernier souffle chez Soleil, l'audacieux Revanche de Baladi (The Hoochie Coochie) et l'ambitieux album collectif Go West Young Man, concocté par Tiburce Oger pour Bamboo.

L'adaptation, un fonds sans fond

Le genre, on le retrouve aussi dans la nouvelle avalanche d'adaptations littéraires en BD, avec par exemple Frankenstein ou Le premier miracle d'après Gilles Legardinier chez Glénat. Tandis que Ki-oon creuse son sillon Lovecraft (Le cauchemar d'Innsmouth), Dupuis ne lâche pas Manchette (Morgue pleine), et Michel Lafon mise sur Olivier Norek (Entre deux mondes). Outre le fantastique et le polar, l'attrait de l'adaptation ne se dément pas, chez tous les éditeurs, avec parfois les mêmes idées : trois Ferme des animaux verront ainsi le jour chez Jungle, Grasset et Delcourt. Futuropolis propose son Un roi sans divertissement de Giono et Les contes drolatiques d'après Balzac. Bamboo ouvre La commode aux tiroirs de couleurs, best-seller d'Olivia Ruiz, et s'offre un Arsène Lupin. Soleil se pare d'un autre best-seller du rayon roman, La tresse de Lætitia Colombani, Delcourt se frotte à Murakami (Neuf récits) et Pennac (Cabot-Caboche, par Grégory Panaccione), Albin Michel transpose Le bal des folles de Victoria Mas, Casterman roule avec Sylvain Tesson dans Bérézina, et Rue de Sèvres s'inscrit au Club des inadaptés de Martin Page. Et le spécialiste de l'adaptation Philéas, dégaine rien moins que des versions BD de La Nuit de temps de Barjavel, par Christian de Metter et de Seul le silence de R.J. Ellory par Fabrice Colin et Richard Guérineau.

À noter qu'il n'y a pas que les romans qui renaissent en cases et bulles. Au rayon essai, Jean Harambat dialogue avec Platon dans La République (Philosophie magazine éditions), Dunod poursuit son exploration de la pensée de Spinoza avec L'éthique, et Delcourt se lance dans Une histoire populaire de la France. Kana surfe sur le dessin animé Droners, Jungle sur le spectacle Les Bodin's. Et, enfin, nombreux sont les Youtubeurs ou autres stars des réseaux sociaux à voir leur univers décliné en BD : outre Splash et Père Situations chez Dupuis, Prime Slime chez Jungle, c'est Michel Lafon qui s'offre la dream team des réseaux, avec Gérald, Jhon Rachid, Jarry et ses enfants, Bilal Hassani et même le basketteur Rudy Gobert et le présentateur Julien Courbet !

Le grand vide, premier livre ébouriffant de Léa Murawiec.- Photo ©ÉDITIONS 2024

Enfin, parfois, ce sont les écrivains eux-mêmes qui passent au 9e art. Ainsi de Marc Lévy avec L'agence des invisibles chez Philéas, de Caryl Férey pour Sangoma, les damnés de Cape Town (Glénat), d'Aurélie Wellenstein qui transpose son univers dystopique chez Drakoo dans La baleine blanche des mers mortes, ou d'Erri de Luca avec L'heure H, chez Futuropolis.

La bio, c'est bon

L'autre tendance qui se confirme année après année, à la croisée du documentaire (en verve) et de la BD historique (en retrait), c'est la biographie en BD. Autour des personnalités créatives en premier lieu. Ainsi, de grandes figures du cinéma seront croquées, telles la réalisatrice pionnière Alice Guy par Catel et José-Louis Bocquet (Casterman), les comédiens Jean Gabin (Glénat), Bela Lugosi (La Boîte à bulles) ou Fatty (Futuropolis). Mais aussi les artistes Edgar Degas (Le Lombard), Vivian Maier ou Georgia O'Keefe (Steinkis), les écrivains Stevenson (Dargaud), Rimbaud et Descartes (Dunod Graphic), le chanteur Jacques Brel et l'auteur de BD Edgar Jacobs (Glénat). La navigatrice Florence Arthaud (Marabulles), le champion d'échecs Bobby Fischer (Les Arènes) ou la militante pour la reconnaissance des femmes dans le sport Alice Milliat (Petit à Petit) complètent un tableau varié, ainsi que les figures politiques et historiques telles la résistante Madeleine Riffaud (Dupuis), le mercenaire Bob Denard (Glénat), Lénine dans Vendetta (Steinkis), Giscard d'Estaing (La Boîte à bulles) ou Odette Nilès, la compagne de Guy Môquet dans La fiancée (Soleil).

Au rayon Histoire, justement, les guerres hantent toutes les planches ou presque. La Première Guerre mondiale toujours (Pinard de guerre, Bamboo), et surtout la Seconde : Aimer pour deux (Bamboo), Le dernier secret d'Hitler (Humanos), Ceux du Chambon (Steinkis), L'Enfer est vide, tous les démons sont ici (Glénat). Dans la programmation de cette rentrée on retrouve aussi des albums traitant du génocide rwandais comme Le grand voyage d'Alice (La Boîte à bulles) ainsi qu'une relecture virtuose de la révolution mexicaine par Frantz Duchazeau dans Debout les morts.

De guerre il sera aussi question du côté des documentaires et reportages BD. Celle contre le terrorisme notamment, puisque septembre marquera les vingt ans des attentats du World Trade Center et du Pentagone. Plusieurs angles d'attaque du sujet, avec le documentaire relatant les événements pas à pas 11 septembre, le jour où le monde a basculé (Dargaud), le témoignage de djihadistes dans Le jour où j'ai rencontré Ben Laden (Delcourt), ou une véritable enquête journalistique avec La cellule (Les Arènes) sur les attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Autre anniversaire : les 40 ans de la mutinerie de la prison d'Attica, aux Etats-Unis, qui mit au jour la violence et le racisme qui régnait dans les pénitenciers américains. Cette histoire sera narrée dans Big Black Stand at Attica (Panini).

Le percutant L'échelle de Richter (Gallimard).- Photo © GALLIMARD

Dans la grosse rentrée « BD du réel » chez Delcourt, il sera aussi question, entre autres, de violences faites aux femmes dans À la maison des femmes de Nicolas Wild (Delcourt), de pressions communautaires religieuses en Israël dans Les filles sages vont en enfer, de diabète avec Quand l'hypo frappe, de médiatisation de scandales avec Lanceurs d'alerte. Et dans l'audacieux #J'accuse, Jean Dytar explore l'affaire Dreyfus et tire des parallèles avec notre époque surmédiatique. Images, photos et réseaux sociaux sont également au cœur de la réflexion, féministe, de Liv Strömquist et son Dans le palais des miroirs (Rackham). Sciences et nature sont au menu de Infinix (Dunod), Sapiens tome 2 (Albin Michel), La conquête du cosmos (Pow Pow), Singes (Futuropolis). Petit à Petit creuse sa veine de docu collectif sur la musique avec Queen, AC/DC ou Prince. Et La Boîte à bulles revient sur le mouvement des gilets jaunes, avec Mon rond-point dans ta gueule. Enfin, Steinkis parlera de sexualité et société dans De polyamour et d'eau fraîche et Les contraceptés.

Bulles d'intime

Les sujets intimes et centrés sur des parcours personnels prennent aussi de plus en plus de place dans le paysage, au travers d'autobiographies ou de fictions fuyant le spectaculaire. Au chapitre autobiographique introspectif, on ne pourra passer à côté de Du bruit dans le ciel de David Prudhomme (Futuropolis), La jeune femme et la mer de Catherine Meurisse (Dargaud), La forêt de Claire Braud chez Casterman ou Le musée de mes erreurs de Julia Wertz (L'Agrume). Mais on jettera également un œil à En coulisse de Pierre Wazem (Atrabile), L'épopée infernale d'Emilie Plateau chez Misma, Pour l'amour de l'art de Noah Von Sciver (L'Employé du moi) et à Succès mode d'emploi, dans lequel le Finlandais Ville Ranta parle aussi de sa condition d'auteur, et égratigne le petit milieu de la BD.

D'autres ouvrages s'inspirent de la vie de l'auteur pour aborder des thématiques plus larges, rejoignant ainsi la grande famille de la BD du réel. Tels A Pink Story de Kate Charlesworth sur le mouvement LGBTQI+ (Casterman), Ouagadougoupressé de Roukiata Ouedraogo et Aude Massot sur la vie d'une jeune femme entre le Burkina Faso et Château rouge à Paris (Sarbacane), Goán tau, chez moi de Li-chin Lin sur le déracinement (Çà et là), Les Lions endormis, histoire vraie de toxicomanie de Joana Balavoine, fille de Daniel, ou Les cœurs insolents, récit de transmission mère-fille sur les questions de corps et de sexualité, par Ovidie et Audrey Lainé.

 

OCEAN NOIR- Photo © CASTERMAN
 

Non loin de ces œuvres, des romans graphiques pourront faire vibrer des cordes sensibles. Citons notamment Tananarive de Mark Eacersall et Sylvain Vallée (Glénat), sur l'odyssée d'un notaire en retraite en quête d'un hypothétique héritier, La dame blanche de Quentin Zuitton sur la vieillesse et la fin de vie (Le Lombard), le passionnel Amore de Zidrou et David Merveille (Delcourt), La falaise autour d'une relation adolescente tumultueuse (premier album de Manon Debaye chez Sarbacane), Walk me to the corner d'Anneli Furmark (Çà et là) sur les amours interdites de deux femmes quinquagénaires ou encore Aaron (Dargaud) dans lequel Ben Gijsemans explore la pédophilie du point de vue de son héros qui en souffre. Sombres aussi sont les promesses du duo de danseurs de Lumière noire de Thomas Gilbert et Claire Fauvel (Rue de Sèvres) ou Can't get no (satisfaction) de Rick Veitch chez Delirium, quête intime d'un cadre américain déchu, post-11-Septembre.
 

Super-héros

Pour les lecteurs qui pourraient, à juste titre, trouver ces sujets un peu déprimants, quelques comédies et BD tous publics pourront alléger la rentrée. En jeunesse, pléthore de nouvelles séries chez Dupuis, Glénat, Delcourt ou Jungle inonderont le rayon, alors que le label BD Kids fêtera ses 10 ans avec des éditions spéciales de ses hits (Anatole Latuile, Ariol...). Moins exposés mais pas moins intéressants, le tome 2 de Pipistrelli (Biscoto) et l'audacieux Il était une forme (Maison Georges) devraient séduire petits et grands. Et les grands cherchant des lectures souriantes pourront lorgner Animal Social Club d'Hervé Bourhis ou le retour de Dieu n'a pas réponse à tout de Nicolas Barral et Tonino Benacquista (Dargaud). Ou encore les plus grinçants Fungirl (Les Requins marteaux), ou Les Catastrophobes (Fluide Glacial). À moins qu'il ne faille se tourner vers les grands héros rassurants, toujours présents malgré la mutation profonde du rayon BD ces dernières années et la déferlante manga.

Outre les impérissables Astérix, Thorgal, Largo Winch ou Iznogoud, on célébrera la fin de Jonathan de Cosey, mais aussi le retour de Lanfeust dans un nouveau cycle, un Lucky Luke vu par Ralph König, la suite du Spirou d'Émile Bravo, le Corto Maltese de Bastien Vivès et Martin Quenehen, un Blake et Mortimer brossé par Jean Harambat et François Rivière, et même un one-shot original et français de Goldorak chez Kana. Du neuf avec les anciens, la recette est éprouvée mais n'écrase plus l'ensemble du secteur, qui continue de creuser sa diversité.

 

Photo KANA

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