En 1921, l'académie Goncourt, sensibilisée par Henri de Régnier à qui l'auteur avait envoyé son ouvrage, couronnait Batouala, de René Maran (1887-1960). C'était la première fois que le prix allait à un auteur noir, un Guyanais né à la Martinique. Dès sa parution, le livre, sous-titré « véritable roman nègre » avait provoqué un sacré scandale.
Maran, haut fonctionnaire colonial, fils d'un comptable qui avait été le compagnon du grand Savorgnan de Brazza, était accusé par les uns, procolonialistes, d'« ingratitude » vis-à-vis de la France, et par les autres, jeunes intellectuels noirs en lutte contre le colonialisme, comme Frantz Fanon, de ne pas aller assez loin dans son tableau, d'être, en quelque sorte, un collabo du système et de l'oppression des peuples colonisés. L'obtention du Goncourt ne fit que raviver les controverses. Pourtant, dans sa préface d'origine, le romancier prévenait : « mon livre n'est pas de polémique ». Il se voulait « une succession d'eaux-fortes », exécutées sur le vif, quand l'écrivain en devenir était encore en poste en AEF, au Tchad en l'occurrence, jusqu'en 1923.
Reconaissance posthume
À la lecture de cette histoire, sorte de vaudeville africain, on ne peut qu'être d'accord avec lui. Certes, le héros éponyme, Batouala, un vieux chef d'une jalousie morbide, vindicatif et ivrogne, méprise et déteste les Blancs, les « Boundjous », et leurs auxiliaires autochtones, menteurs, pilleurs, cruels. Mais lui-même n'est pas un modèle de vertu, et il verra, juste avant de mourir, sa première épouse, Yassigui'ndja, le faire cocu et s'enfuir avec le jeune et beau guerrier Bissibi'ngui. Entre-temps, au fil des pages, Batouala nous aura régalés d'antiques légendes locales (l'intrigue se situe près de Grimari, dans l'Oubangui-Chari), et Maran de descriptions pittoresques des coutumes, de la nature et des animaux, auxquels il était très attaché. Batouala est d'ailleurs suivi d'une novella consacrée à une mangouste (Youmba la mangouste).
René Maran a souffert jusqu'à sa mort de n'avoir pas été reconnu en tant qu'écrivain français et surtout en tant que simple être humain, et d'avoir été plutôt catalogué en fonction d'une « identité ethnique, raciale, religieuse ou autre », plaide Amin Maalouf dans sa préface à cette réédition anniversaire. Précurseur, dont le livre avait alerté d'autres, comme Gide ou Albert Londres, il savait que, en 1921, la « question nègre [était] "actuelle" ». Un siècle après, le vocabulaire a changé, mais la question l'est tout autant, mondiale et toujours ultrasensible.
Batouala
Albin Michel
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 17,9 0€ ; 272 p.
ISBN: 9782226463432