A la rentrée littéraire 1999, paraissait au Rouergue un premier roman hors normes, signé par Antoine Piazza, instituteur à Sète, où il vit et exerce toujours. Un gros pavé « proustien », bien nommé Roman fleuve. Après Livres Hebdo aux avant-postes, toute la critique s’est enthousiasmée, et le livre est devenu culte, à tel point que Télérama a consacré, lors de sa sortie en poche, un dossier à ce que notre confrère considérait comme un « cas » d’édition.
Un cas rare, d’école, mais modeste, ainsi que le rappellent les chiffres communiqués par le Rouergue : tiré à 6 000 exemplaires en 1999, Roman fleuve s’est vendu à 4 000 exemplaires en grand format. Et à 2 600 exemplaires sur 12 000 exemplaires en Folio (Gallimard), où il avait reparu en 2001.
« Justement, explique Antoine Piazza, c’est le poche qui a tout déclenché ! » Dix ans après, les droits en Folio arrivant à échéance, que fallait-il faire ? Le passer tel quel en Babel, la collection de poche d’Actes Sud, propriétaire du Rouergue ? «Ce livre, qui était sorti de ma vie, y revenait soudain. Le fichier d’origine ayant disparu, j’ai repris celui du poche, commençant à refaire la mise en page, à apporter des corrections. Ensuite, je l’ai relu. Et je me suis dit : les gens qui l’ont aimé à l’époque ont été bien indulgents ! Entre-temps, j’avais évolué, voyagé, lu, et publié cinq autres livres [chez le même éditeur]. Pouvais-je me contenter de rapetasser, ou fallait-il tout refaire ? Mon éditeur, Bertrand Py, m’a laissé le choix, puis fait confiance. Alors je me suis pris au jeu. »
Deux ans plus tard, paraît ce nouveau Roman fleuve, et Antoine Piazza prévient : « C’est un autre livre. »«Délesté de 15 000 mots environ sur 100 000 », avec une fin « changée du tout au tout, plus ouverte, puisque le narrateur est le seul Français qui va rester sur le sol national », et des dialogues « plus élaborés ». Même si l’on n’est pas aussi sévère que l’auteur lui-même quant à la version d’origine, force est de saluer son humilité et sa performance. Le Roman fleuve d’aujourd’hui est « plus efficace », en effet, « comme disait Tolstoï », plus ramassé. Les annexes de la fin accréditent le côté supercherie, puisque l’histoire est celle d’un pays, la France, que son président, en conflit avec ses partenaires européens, décide de faire basculer totalement dans le monde de la fiction. Un certain Béring, à la tête d’une mystérieuse et inquiétante Délégation, étant chargé par le pouvoir de « réaliser l’édition définitive de la littérature française depuis Loup de Ferrières jusqu’à Eugen Kleber-Gaydier ». Une « entreprise sans précédent », mais qui fait froid dans le dos. On est plus près d’Orwell, cette fois, que de Proust.
Ce qui n’a pas changé, en revanche, c’est le talent d’écrivain d’Antoine Piazza, l’intégrité de sa démarche. On se pose, au final, deux questions : ce Roman fleuve new look égalera-t-il ou dépassera-t-il le succès de sa version première ? Et Piazza le réécrira-t-il encore dans quinze ans ? « Au fond, conclut-il, un livre est-il jamais fini ? »
J.-C. P.