5 SEPTEMBRE - HISTOIRE France

Voici un livre d'économie qui ne nous parle pas de la crise actuelle. Tandis que les prix Nobel Paul Krugman (Sortez-nous de cette crise... main-tenant !, Flammarion, 5 septembre) et Joseph Stiglitz (Le prix de l'inégalité, Les Liens qui libèrent, 5 septembre) nous proposent leurs analyses et nous donnent leurs recettes, un historien nous rappelle que tout cela ne manque pas de sel !

Le grenier à sel au Mans, transformé depuis en restaurant. - Photo DR/WIKIPÉDIA

Spécialiste de la finance sous l'Ancien Régime, disciple de Pierre Goubert (1915-2012) à qui l'on doit quelques ouvrages fondamentaux sur Louis XIV et son temps, professeur à l'Ecole navale, Daniel Dessert est l'auteur d'un ouvrage important : Argent, pouvoir et société au Grand Siècle (Fayard, 1984).

Dans L'argent du sel, le sel de l'argent, le biographe de Fouquet (Fayard, 1987) explique comment, depuis le Moyen Age, le sel, qui était utilisé comme le conservateur des aliments, fit l'objet d'un monopole royal, puis d'une taxe injuste nommée gabelle, à l'origine de bien des émeutes populaires.

Avec beaucoup de détails, en dépouillant des liasses de minutes notariales relatives aux litiges entre ces puissants réseaux de prêts et l'Etat, Daniel Dessert démonte le système. En fouillant notamment dans les papiers de Thomas Bonneau, il met en lumière les composantes sociales, politiques et religieuses de ces bailleurs de fonds, où l'on trouvait tout de même un quart de femmes. Au passage, il corrige les portraits un peu trop légendaires de Richelieu, Mazarin et Colbert, auquel il a déjà consacré plusieurs études.

La mise en place d'un système financier corrompu autour du sel revient en effet à la triade Richelieu, Mazarin, Colbert, qui surent utiliser à leur profit ces "Messieurs des Gabelles", bailleurs de fonds d'un royaume endetté et d'une monarchie absolument fauchée.

"Comment dénoncer les errements d'un système financier quand ceux-là mêmes qui sont chargés de les corriger, voire de les sanctionner, en sont les principaux bénéficiaires ?" Il ne s'agit plus en l'occurrence de réforme, mais de révolution. Or personne, parmi ce "Tout-Paris de la finance" du XVIIe siècle, ne souhaitait remettre en cause un modèle qui proliférait avec les guerres et la cupidité des investisseurs. Même si une partie de l'aristocratie affectait de mépriser le commerce de l'argent tout en en bénéficiant...

Avec tact mais fermement, Daniel Dessert remet les pendules du passé à l'heure. Quand on n'a pas un sou en poche, on peut toujours tonner "l'Etat c'est moi". En fait, la réalité serait plutôt "l'Etat, c'est eux" : Richelieu, Mazarin, Colbert et une poignée d'oligarques de l'époque qui avaient fait du sel leur or blanc. A bien des égards, ce travail érudit nous en dit plus sur le poids de l'économie dans la société française que bien des essais censés nous montrer les chemins pour sortir de la crise. Car c'est aussi au présent que nous font réfléchir les bons historiens.

Les dernières
actualités