Avec Se survivre (Verdier, 2013), Patrick Autréaux affirmait la clôture d’un cycle d’écriture après Dans la vallée des larmes (2009) et Soigner (2010), deux livres autobiographiques, récits méditatifs, consolants, reconnaissants, explorant le "moi malade". Après la profondeur introspective de ces actes de naissance, ce premier roman, ne paraît pas plus léger mais peut-être plus distant.
Qui sont ces Irréguliers ? Virgilio, le Péruvien sans papiers, arrêté et placé dans un centre de rétention à Vincennes, et Ivan, son amant français qui, pour tenter de le voir une dernière fois avant l’inévitable expulsion, doit franchir, lui, d’autres frontières dans une expédition qui va le conduire vers des zones inconnues, marginales - en bordure de ville, de bois, de société -, un territoire d’avant-exil qui ressemble au seuil d’un "purgatoire". Devant et dans le centre de rétention, prison aux airs de "camps improvisé", sans compréhension des usages et des langues, il est simultanément ramené en arrière vers des contrées sentimentales d’avant sa rencontre avec l’amour étranger. Au milieu de la "steppe de tristesse" dans laquelle l’a plongé l’arrestation brutale de son ami surgissent deux disparus familiers liés par un secret intime : le "grand frère aimé", interne en médecine, devenu "paria détesté", mort en tentant de sauver un inconnu, et la mère au "cœur teinté de rouge", fille d’émigrés juifs venus d’Odessa. Remonte aussi l’image d’un homme vu en train de se noyer dans le canal Saint-Martin.
Les irréguliers n’est pas un roman dénonciateur sur un sujet d’actualité. La traversée est plus singulière, l’angle plus intérieur. Dans une oscillation entre le plus proche et le plus lointain, Patrick Autréaux interroge des états d’être suspendus, l’impuissance et la vulnérabilité, une forme de lâcheté floue. "Est-ce qu’il n’y a pas toujours en soi quelqu’un qui se noie et quelqu’un qui regarde ailleurs ?"
V. R.