4 novembre > Littérature Italie

En 1961, l’année de son premier film, Accattone, Pier Paolo Pasolini (1922-1975), écrivain célèbre et sulfureux depuis son premier livre, Ragazzi di vita, paru en 1955, donnait à publier à la revue spécialisée Filmcritica le scénario de La nebbiosa (La nébuleuse). Ainsi qu’il le referait pour tous ses films, c’était à la fois pour lui une façon de poser les jalons théoriques d’une "philosophie" du cinéma qu’il lui tenait à cœur d’écrire et la proclamation que son œuvre cinématographique faisait partie intégrante de son œuvre globale, à égalité avec sa poésie, ses romans, ses essais. Il existe chez Pasolini, des débuts à la fin, et entre son œuvre et sa vie, une cohérence profonde, comme une esthétique, même anti. Ses films en participent, y compris ceux qu’il n’a pas tournés lui-même. La nebbiosa, rappelle Yann Moix dans sa préface, a été réalisé "par un tâcheron, sous le titre Milano nera ". Le film est oublié, mais le titre n’était pas si mauvais.

Après avoir dépeint, avec ses Ragazzi, les voyous du lumpenprolétariat des borgate de Rome, Pasolini récidivait avec ceux, un peu moins pauvres mais tout aussi désocialisés et dangereux, des banlieues de Milan. Ils s’appellent Giancarlo dit Rospo ("le Crapaud") - le chef de la bande, un psychopathe fils de facho, qui entraîne son petit frère Cino dans cette triste aventure -, Gymkana, Contessa, Teppa, Toni dit Elvis, Mosè. Ils sont voleurs, violeurs, violents, homophobes, vulgaires, alcooliques, ignares, mais aussi, par certains côtés, attendrissants, fragiles, romantiques. A la fin, l’un d’entre eux, Teppa, ne succombera-t-il pas bêtement, par accident, sous les fenêtres de sa belle, Daniela, à qui, avec ses copains, il était venu offrir une aubade ?

Chez Pasolini, comme chez le Kubrick d’Orange mécanique (plus que dans le roman d’origine de Burgess), rien n’est tout noir ou tout blanc. Et les voyous, jeunes et beaux, toujours fascinants. De là à extrapoler et à rapprocher l’atmosphère de cette nuit de nouvel an tragique, dans ses banlieues postmodernes avec leurs friches et leurs terrains vagues, de celle du 2 novembre 1975 où l’écrivain qui cherchait aventure fut massacré non loin d’Ostie, il n’y a qu’un pas. On pourrait trouver, dans toute son œuvre, nombre de prémonitions.

Cette Nébuleuse est, en tout cas, un bel inédit, très littéraire, très écrit, qui se lit plus comme un roman que comme un vrai scénario, en dépit de ses indications filmiques très précises. Une espèce de drame à l’antique : à un moment, Rospo et Toni se battent à mort, comme leurs ancêtres gladiateurs.

Jean-Claude Perrier

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