La rentrée littéraire a commencé à la mi-août. Les stations de radio ont lancé leurs nouvelles grilles depuis deux semaines. Les chaînes de télévision, elles, ne sont pas tout à fait prêtes. Le petit écran va étaler ses nouveautés jusqu’à la mi-octobre. Une chose est certaine, le livre maintient sa place, avec le même nombre de fenêtres dans les programmes de la rentrée audiovisuelle 2015, finalement peu bouleversés.
A la télévision, à quelques exceptions près, il reste formaté en "capsules", intégré dans des émissions au champ plus large, ou considéré comme un produit d’appel dans des programmes populaires ou culturels. Globalement, le livre dispose de davantage d’espace le week-end qu’en semaine. Ce qui change, c’est la place de l’ouvrage, qui diminue au profit de son auteur, ou même de son éditeur, du libraire ou d’un expert.
Sur fond de tensions
Ces évolutions interviennent sur un fond particulièrement tendu. A Radio France, le tapis a brûlé sous les pieds du P-DG, Mathieu Gallet, qui a dû gérer un conflit social historique, une relation délicate avec ses tutelles et le renvoi du directeur de France Culture, Olivier Poivre d’Arvor, au début de l’été. Côté télévision publique, le tangage a commencé dès la nomination de Delphine Ernotte à la présidence du groupe. Premiers coups d’éclat : le débauchage de Michel Field pour qu’il dirige France 5, et la confirmation de la fusion des rédactions de France 2 et France 3. L’atmosphère n’est pas plus sereine dans le privé. Chez Canal+, Vincent Bolloré, actionnaire principal de la chaîne, s’improvise depuis la fin juin directeur des programmes, provoquant des polémiques et un jeu de chaises musicales entre les animateurs, jusqu’à transformer "Le grand journal".
La culture n’est pas sacrifiée
Cependant, les émissions culturelles, surtout sur les chaînes du service public, n’ont jamais eu autant de fidèles depuis des années, battant en 2014 des records historiques. Par conséquent, si les grilles de rentrée offrent peu de nouveautés, la culture n’est pas sacrifiée. D’autant que peu d’événements d’actualité d’envergure parasitent le calendrier, même si sont prévus les élections régionales, la COP21 et le championnat d’Europe de football.
Faisant perdurer une tendance de fond, le livre se mélange de plus en plus à l’information et à l’"infotainment". L’écrivain est désormais un invité comme les autres dans des émissions aux recettes éprouvées mélangeant politiques, artistes ou sportifs… Dans cet esprit, la 10e saison d’"On n’est pas couché", sur France 2, a déjà accueilli trois auteurs (Houellebecq, Angot et Jul) face au nouveau chroniqueur Yann Moix, devant 1,3 million de spectateurs.
L’explosion du nombre de chaînes, l’érosion de l’audience, la concurrence d’Internet limitent les prises de risques et amènent à la banalisation des contenus. La transition à la direction de France Télévisions, fin août, a aussi repoussé le lancement de nouvelles émissions. La rentrée est d’ailleurs de plus en plus tardive : certaines émissions télévisées ne commenceront à être diffusées qu’à la fin de septembre, d’autres n’ont pas encore leur case horaire.
Sur Canal+, "Le grand journal", en "access prime time", mue et opte pour la mise en scène d’une personnalité plutôt que sur une multitude d’invités, comme au temps de "Nulle part ailleurs". Condensée sur 90 minutes, avec Maïtena Biraben aux commandes, l’émission veut retrouver son rôle prescripteur et promet d’avoir une tonalité plus culturelle. Elle doit rivaliser avec "Le petit journal" de Yann Barthès, qui, fort d’une cible plus jeune, a commencé à inviter régulièrement des écrivains (Michel Onfray, Virginie Despentes…). Le talk-show reste l’émission facile à produire avec une "marque" : son animateur. Natacha Polony, qui arrive sur Paris Première, veut ainsi renouer avec l’esprit de "Droit de réponse" de Michel Polac, tandis que Frédéric Lopez lancera sur France 2 un talk en deuxième partie de soirée.
A la radio, la directrice de France Inter, Laurence Bloch, n’a bouleversé la grille que de 20 % seulement, contre 70 % l’an dernier. Elle remplace, le soir en semaine, l’émission de Pascale Clark par un magazine culturel, "Le nouveau rendez-vous" de Laurent Goumarre, transfuge de France Culture. Les autres nouveautés culturelles sont programmées le week-end : "Making of" de Pascale Clark et "Autant en emporte l’histoire" de Stéphanie Duncan, avec la collaboration d’écrivains et d’historiens.
A côté des multiples programmes courts en radio comme en télé, quelques chaînes font encore le pari de l’émission littéraire et laissent de la place pour de grands entretiens. Seule messe cathodique dédiée au livre, qui plus est en première partie de soirée, "La grande librairie" (le jeudi sur France 5) n’a jamais été aussi populaire, notamment grâce à ses "spéciales", qui sont appelées à se multiplier. TF1, malgré le départ de Michel Field, conserve son hebdomadaire culturel, rebaptisé "Au fil de la nuit", dorénavant présenté par Christophe Ono-dit-Biot et programmé par Lauren Malka. Avec 300 000 noctambules, l’émission garde un concept qui avait déjà évolué l’an dernier.
France Inter et France Culture restent les radios les plus littéraires, avec succès. "Boomerang" d’Augustin Trapenard, le matin à 9 heures en semaine, séduit en moyenne un million d’auditeurs chaque jour. Malgré l’arrêt de quelques programmes phares, la proportion d’émissions autour du livre reste inchangée sur les antennes publiques. Désormais dirigée par Sandrine Treiner, France Culture mise sur la poésie et les nouvelles écritures avec "Jacques Bonnaffé lit la poésie" ou "Poésie et ainsi de suite", et initie un rendez-vous quotidien à 19 heures, "Ping pong, la culture sans limites", animé par Mathilde Serrel et Martin Quenehen.
"De bons clients"
Au milieu des mutations du Paf, le livre s’ajuste et continue de se défendre dans l’offre audiovisuelle. Même les auteurs s’adaptent et deviennent "de bons clients". Parfois un changement de formule suffit. Pour la cinquième saison d’"Entrée libre" (France 5), Laurent Goumarre explique qu’il faut faire évoluer le discours, en rendant "la dramaturgie plus fluide §", "en faisant davantage d’interventions et d’explications". "Les enfants du livre" (le dimanche à 20 h 25 sur France Info) s’associe au Labo des histoires pour donner la parole aux jeunes lecteurs. Et la productrice d’"Au fil de la nuit", Anne Barrère, cherche à faire exister l’émission au-delà de son horaire tardif avec "des pastilles de 2 minutes complémentaires à l’émission et diffusées sur les réseaux sociaux". "J’ai envie qu’il y ait de l’audience, ça veut dire que notre émission plaît", confie-t-elle.
Car rien n’est acquis. Au cours de la prochaine saison, en 2016-2017, producteurs et animateurs vont devoir gérer des budgets resserrés, la campagne pour les présidentielles et l’amplification des changements de modes de consommation audiovisuelle : replays (télévision de rattrapage) et podcasts s’ancrent de plus en plus dans les habitudes des Français, tandis que les réseaux sociaux sont devenus des indices de popularité des émissions, scrutés avec attention.
Il est loin le temps d’"Apostrophes"… Quoique ! A une date pas encore déterminée, Pierre Assouline fera, avec la participation de Bernard Pivot, revivre le temps d’un soir l’émission culte sur France 2 avec son double, "Les vendredis d’Apostrophes". Accompagné d’un hashtag ?
Six présentateurs qui vont compter
"La culture n’est plus l’objet mais le sujet"
Laurent Goumarre passe de France Culture à France Inter, où il présente en direct, chaque soir à 21 h, "Le nouveau rendez-vous" tout en poursuivant "Entrée libre" sur France 5.
Laurent Goumarre - Je veux faire un grand show culturel. Je veux envisager l’actualité culturelle au sens le plus large possible, sous toutes ses formes, c’est-à-dire des entretiens, des débats, des chroniques… Avec la culture comme prisme, il s’agit d’aborder des angles qui pouvaient lui échapper. La rentrée littéraire, par exemple, on peut la traiter par différents biais, comme le judiciaire pour Eva de Simon Liberati. Mais une quotidienne permet aussi de s’appuyer sur l’actualité. A l’occasion de Visa pour l’image, je pouvais faire une énième émission sur le photojournalisme. Plutôt que de se faire du mal, j’ai préféré parler des reporters de guerre et de la féminisation de ce métier.
Je ne me pose pas la question, même si chaque chaîne a sa culture et que cela peut influer. La prise de parole est forcément différente puisque les médias ne sont pas identiques. Mais la façon de présenter une actualité, de travailler un entretien est la même. "Le nouveau rendez vous" dure deux heures, donc j’ai l’impression que mon ton se pose plus, c’est peut-être plus convivial. Comme c’est en direct, ça demande aussi plus de tension. Il ne faut pas perdre le fil de l’entretien alors qu’il est interrompu par les "live" de musique.
Avant "Le nouveau rendez-vous", j’ai le grand entretien de Kathleen Evin : ça dicte l’émission. C’est pareil sur France 5 : avant "Entrée libre", j’ai une émission avec beaucoup d’intervenants. Donc il n’était pas envisageable d’être en plateau avec des invités. Ce qui fait la signature d’"Entrée libre", c’est le reportage.
Parler quotidiennement de la culture à la télévision a libéré la manière de le faire, comme on peut parler de sport ou de politique. Ce n’est plus réservé à un entre-soi. Il y a eu un premier déclic avec "Droit de réponse" : Polac, ce n’était pas Chancel. Il a amené un côté pop, énervé. Aujourd’hui, la culture n’est plus simplement un produit ou une rubrique agenda. C’est une actualité. Il n’y a pas de sujets que la culture ne peut pas traiter. Si on pose la question des migrants, je vais plutôt m’interroger sur la manière dont la fiction s’en empare. La culture n’est plus l’objet mais le sujet.
On constate le déclin du discours promotionnel et répétitif. Les entretiens et les grands portraits sont privilégiés, même dans la presse écrite, parce que la critique, le commentaire, la glose ont éteint le discours. On parlait des œuvres. Là on rend la parole, et pas seulement aux artistes. Sur France Inter, je veux parler des métiers techniques, en rappelant qu’une bande dessinée, c’est aussi l’œuvre d’un coloriste. L’œuvre ne doit pas effacer les auteurs. On voit donc de moins en moins d’émissions promotionnelles. Typiquement, "Le grand journal" était devenu le lieu où la parole était de plus en plus rétrécie. La machine écrasait l’invité.