Quand Haïti revitalise la littérature française

Librairie à Port-au-Prince. - Photo J.-L. achal/Bibliothèques sans frontières

Quand Haïti revitalise la littérature française

Depuis une dizaine d’années, les auteurs haïtiens quittent les catalogues spécialisés pour ceux des grandes maisons, et gagnent des prix.

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Par Anne-Laure Walter,
avec Créé le 22.05.2015 à 02h05

A la librairie Le Divan mercredi 20 mai, au New Morning le 9 juin pour une soirée Zulma, le rhum Barbancourt remplacera le champagne des cocktails parisiens. L’entrée de Dany Laferrière dans une institution comme l’Académie française participe d’un mouvement général de reconnaissance de la création haïtienne, qui renouvelle la langue et l’imaginaire de la littérature en français. Jusqu’au milieu des années 2000, c’est grâce au remarquable travail de maisons défricheuses, sensibles aux littératures francophones comme Vents d’ailleurs, Le Serpent à plumes ou Zellige, que ces auteurs ont pu être découverts. Aujourd’hui, beaucoup ont intégré des maisons généralistes : Dany Laferrière chez Grasset, Lyonel Trouillot chez Actes Sud, Yanick Lahens ou Jean-Claude Fignolé chez Sabine Wespieser, Kettly Mars et Louis-Philippe Dalembert au Mercure de France, Gary Victor chez Philippe Rey, Makenzy Orcel ou Dominique Batraville chez Zulma… Corollaire de cette entrée dans de grands catalogues, les prix littéraires ont suivi à partir de 2009, quand Dany Laferrière reçoit le Médicis pour L’énigme du retour et Lyonel Trouillot le Wepler pour Yanvalou pour Charlie, et, à l’automne dernier, Yanick Lahens le Femina pour Bain de lune.

L’agent Pierre Astier, éditeur de Dany Laferrière au Serpent à plumes, constate cet engouement, notant que "les textes haïtiens sont sortis plus tôt que les autres littératures francophones des catalogues spécialisés". Isabelle Gallimard, qui vient de publier le cinquième texte de Kettly Mars au Mercure de France, rappelle cependant qu’"il y a toujours eu des Haïtiens dans les catalogues des grandes maisons d’édition". Et de citer Jacques Stephen Alexis ou René Depestre chez Gallimard. Mais si, jusqu’aux années 1980, les auteurs haïtiens étaient dans les grandes maisons, "il y a eu un trou pour la génération suivante pendant une vingtaine d’années, puis c’est reparti avec Yanick Lahens ou Lyonel Trouillot", estime Pierre Astier.

Le voyage en Haïti

Le lancement en 2007 d’une édition haïtienne d’Etonnants voyageurs a joué un rôle majeur pour la réception de cette littérature. Un voyage de presse a sensibilisé une poignée de journalistes, qui sont devenus des relais attentifs au sein de leur rédaction.

De même pour certains éditeurs comme Laure Leroy, qui y a participé en 2012. "Tout le catalogue haïtien de la maison est né avec ce voyage en Haïti", explique la directrice de Zulma. Gouverneurs de la rosée de Jacques Roumain a été l’un des premiers titres de sa collection de poche, où elle a publié en avril Amour, colère et folie de Marie Vieux-Chauvet - dont Zellige édite toute l’œuvre - avant Le cri des oiseaux fous de Dany Laferrière en octobre. Elle nuance pourtant. "On ne peut pas parler de vague haïtienne comme de la tendance du polar nordique. Les lecteurs n’identifient pas ce mouvement, ce sont les auteurs, séparément, qui se font remarquer." Sabine Wespieser, qui se méfie des "homologations territoriales", confirme. "La langue de Yanick Lahens lui est propre, souligne-t-elle. Elle possède l’inquiétante et merveilleuse étrangeté de cette littérature écrite en français en dehors du territoire." A.-L. W.

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