On sait la marche bonne pour la pensée. Aristote ne développa-t-il pas sa doctrine au fil de ses pas - sa fameuse philosophie péripatéticienne. Jacques Damade n'entend pas faire école et entreprend simplement des promenades solitaires. Il assume une certaine misanthropie, « pas la misanthropie d'Alceste, mais celle d'un mammifère désorienté ». Encore une fois, dans Darwin au bord de l'eau, l'écrivain et éditeur des éditions La Bibliothèque déroule la pelote de ses pensées sur la condition animale, à savoir aussi la nôtre, primates censément en haut de l'échelle. Après Abattoirs de Chicago : le monde humain (La Bibliothèque, 2016), une manière de généalogie de notre rapport moderne au vivant, l'auteur poursuit une réflexion qu'on appellera « écologique », faute d'une épithète plus exacte pour décrire une pensée singulière du temps long qui embrasse notre biotope. Il nous plonge ici dans le paysage de mer de Basse-Normandie, en compagnie de l'auteur de L'origine des espèces (1859).
Damade ne se veut ni théoricien ni philosophe, juste « un sapiens à l'heure de l'anthropocène » qui regarde tout autour de lui, traquant la moindre présence animale - il suit le site d'une amie, OLL « Observer Le Loup ».
Le ton est proprement littéraire et son Darwin au bord de l'eau tient plus d'une écriture de la nature et de soi, où sont convoqués les écrivains également lecteurs du naturaliste victorien, tel Roger Caillois, que du manifeste environnementaliste. On est plus proche de Thoreau que de Hulot. Devant les anfractuosités d'Houlgate, falaises du Jurassique, il y a cette mélancolique réflexion sur ces roches qui mirent des milliers de siècles à se former que le bipède que nous sommes est prêt à détruire. Pérégrinations réelles et métaphysiques qui nous jettent dans un vertige pascalien des infinis, une juste conscience de notre place d'humains, grains de sable sur la plage du temps.
Darwin au bord de l'eau - Illustrations de Thomas Beulaguet
La Bibliothèque
Tirage: 1 000 ex.
Prix: 12 euros ; 112 p.
ISBN: 9782909688930