On sait combien les peintres de la Renaissance, et toute la profession à leur suite, se sont évertués à se faire considérer comme des artistes et non pas de simples artisans. C'est la notion d'auteur avant l'heure. A son tour, la Nouvelle Vague - et François Truffaut au premier chef - revendique pour le réalisateur ses lettres de noblesse.
Cinéaste égale auteur, et film signifie œuvre de création. Pour le futur réalisateur des Quatre cents coups, certains en sont et d'autres pas. Avant de faire des films, Truffaut voit beaucoup de films, français comme étrangers, et écrit dessus. S'il théorise notamment aux Cahiers du cinéma,il va aussi investir un espace critique grand public : Arts. Cette revue, créée par le marchand d'art Georges Wildenstein afin de promouvoir ses expositions, est reprise en main par le hussard Jacques Laurent qui en fait le fer de lance de sa vision littéraire et esthétique. Ce dernier invite François Truffaut à y tenir les pages cinéma, le ton se veut neuf, incisif, voire de mauvaise foi. Déjà dans son journal intime, il consignait en 1952 sous la question « Comment étudier un film ? Comment écrire ? » quatre points : trouver le centre de gravité du film ; s'organiser autour du mot choisi et en faire découler tout le sens grâce au sentiment qu'il évoque ; ne pas expliquer le film mais le revivre ; plutôt que de décrire de l'extérieur, établir une communion intérieure. En pratique, le critique n'y va pas avec le dos de la cuiller. Sa méthode : accuser de plagiat quiconque lui semble être une pâle copie d'un maître du septième art qu'il admire, tels Hitchcock, Cocteau, Welles, Antonioni.
Paraît un florilège d'articles signés Truffaut ou sous pseudonyme (Robert Lachenay, Louis Chabert, Robert de La Chesnay) dans l'hebdomadaire, présentés par Bernard Bastide :Chroniques d'Arts-Spectacles (1954-1958). On y lira sa fameuse philippique de mai 1957, « Vous êtes tous témoins dans ce procès : le cinéma français crève sous les fausses légendes ». Truffaut n'a que mépris pour les adaptations de classiques sans écriture cinématographique. A propos de Delannoy, on goûte le mordant : « Je ne vois pas comment on ne peut se retenir d'écrire queChiens perdus sans collierfait reculer les bornes de l'insignifiance. » Le chroniqueur sait toutefois tresser des éloges : il est séduit par le radical Bresson, loueLes hommes préfèrent les blondesde Hawks-« une œuvre méchante et rigoureuse, intelligente et pitoyable »-et voit dansEt Dieu...créa la femmede Vadim le signe d'un cinéma régénéré-des « films plus intelligents, plus sincères et plus personnels».Grâce à Truffaut, notamment.
Chroniques d’arts-spectacles - Edition établie et annotée par Bernard Bastide
Gallimard
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 24 euros ; 528 p.
ISBN: 9782072715594