Les professionnels du livre prennent-ils davantage en compte le rôle des libraires dans la prescription ? « Il était temps ! », plaisante la célèbre Marie-Rose Guarniéri, fondatrice de la Librairie des Abbesses, à Paris (XVIIIe). « Il y a plus de dix ans, le savoir-faire et l'impact des libraires n'étaient pas reconnus par les éditeurs. Depuis, nous avons prouvé que nous n'étions pas de simples points de vente mais des experts, à l'origine de succès inattendus. Aujourd'hui, on devient libraire par vocation, pour sortir de la "dictature des best-sellers", affirmer une vraie ligne éditoriale. Les clients y sont sensibles et nous demandent conseil, surtout dans une librairie de quartier comme la nôtre, qui connaît bien sa clientèle. »

Au-delà du quartier, cette progression se révèle tout aussi tangible. Pour -Guillaume Leroux, directeur opérationnel du groupe Charlemagne dans le Var, elle s'est accélérée suite aux confinements. « C'est une période qui a mis les libraires en valeur. Dans nos librairies, nous mettons en avant leurs coups de cœur par le biais de petits mots écrits à la main. On organise plusieurs soirées par an pour parler des livres qu'on aime avec nos clients. »

Les journalistes ont-ils encore leur place dans ce système ? Incontestablement. Tous les libraires interrogés l'affirment : pas une journée ne passe sans qu'un client arrive avec une coupure de presse (Libé, Le Monde, Télérama...) pour indiquer le livre qu'il cherche. « C'est fréquent chez les personnes plus âgées, précisent les libraires des Nouveautés, à Paris (Xe). Mais aussi chez les plus jeunes. À partir de 8 ans, les enfants arrivent avec leur revue J'aime lire et nous montrent la page qu'ils ont cornée. » Chez Marie-Rose Guarniéri, la revue de presse reste un rituel incontournable. « Je lis Le -Parisien, Libé, Le Monde, L'Obs, les féminins, j'écoute les matinales de radio, les émissions de télé... On passe notre temps à chercher le livre qui nous aurait échappé. » À Chartres, la responsable de la librairie L'Esperluète, Gersende -Guingouain, constitue sa table de recommandations avant que les journalistes ne publient leurs sélections. « Il arrive que la presse s'emballe sur le même livre que moi. C'est le cas de Pour Britney de Louise -Chennevière (P.O.L) en ce moment. Mais il arrive aussi que je conseille un livre passé sous les radars, comme Le Buzuk de Marie Kelbert (Viviane Hamy). Les clients nous font confiance. »

Et les réseaux sociaux dans tout cela ? Les lecteurs et lectrices d'Instagram et de TikTok commencent-ils à influencer les libraires dans leurs choix de commandes et de livres à mettre en avant ? À Rouen, Edith Bravard, fondatrice de la librairie L'Encre du cœur, entièrement dédiée à la romance, se sent moins influençable qu'influenceuse. Suivie par plusieurs milliers d'abonnés, elle accueille une clientèle qui a, pour la quasi-totalité, connu son existence sur les réseaux sociaux. « Mes meilleures ventes sont mes prescriptions. Lorsque j'indique en story que j'ai apprécié telle lecture, je suis souvent dévalisée et en rupture de stocks les jours suivants. » Les papiers volants d'hier sont-ils remplacés par les comptes TikTok de libraires ? Pas encore, mais les premiers des prescripteurs pourraient bien devenir les premiers des influenceurs. L

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