C’était le mercredi 19 février 2014. Dans le palais des glaces Bolchoï de Sotchi, le rêve olympique russe vire brutalement au cauchemar. La grande équipe nationale de hockey sur glace sort sans gloire du tournoi olympique, défaite dès les quarts de finale par la Finlande. Parmi les 12 000 spectateurs consternés de la patinoire, un homme au regard triste l’est peut-être plus encore que d’habitude. Il s’appelle Vladimir Vladimirovitch Poutine et est le président de la Russie (on hésite à écrire de toutes les Russies…). A quelques centaines de kilomètres de là, dans son appartement rempli du regret d’autres rêves évanouis, un homme s’endort, non sans avoir noté que le regard de son président est aussi celui des phoques. Il s’appelle Vladimir Vladimirovitch Poutine et se dit que, faute de destin, cette homonymie lui en donne un. Des femmes l’ont quitté comme l’a fait le souvenir du bonheur. Poutine est ce qui lui reste, miroir déformant de son échec et du chagrin des Russes.
De Jean Rolin à Mathias Enard en passant par Emmanuel Carrère, la Russie s’est imposée comme la nouvelle frontière des lettres françaises. Il est vrai que là-bas, l’espace et le temps, l’histoire et la géographie ne sont pas comptés à ceux qui les arpentent. Justement, Bernard Chambaz est de ceux-là. Ses derniers livres, Plonger (Gallimard, 2011), Caro carissimo Puccini (Gallimard, 2012) ou l’admirable Dernières nouvelles du martin-pêcheur (Flammarion, 2014), en témoignent grandement. Ils sont aussi autant de rapports, vifs et presque malicieux, sur la tristesse.
Il y a fort à parier que ce Vladimir Vladimirovitch sera l’un des événements de la rentrée littéraire. Les uns y liront une biographie "panoramique" de Poutine, de son pays et de leurs rêves d’empire déchu. Ils auront raison. Les autres sauront y percevoir comme un vaste poème en prose autour de la solitude d’un homme. On ne pourra pas leur donner tort. Chez le "nouveau tsar", le pouvoir est une ascèse, et le despotisme une conséquence de peu d’importance. Il est avant tout une machine désirante qui passera sa vie, et sacrifiera celle de nombre de ses compatriotes, à chercher en vain le sens de son désir. Bien entendu, les deux Poutine de Chambaz ne font qu’un ou, du moins, se confondent en une identique errance identitaire. Ces vivants-là ne demandent qu’à rejoindre l’armée des spectres qui a écrit les plus terribles pages de l’histoire russe. Chambaz, l’air de ne pas y toucher (un air qui est synonyme de délicatesse), n’évoque jamais que le retour du refoulé. Il le fait avec une précision quant aux lieux, aux dates, aux faits, qui, loin d’alourdir le propos, l’allège au fil d’une écriture de plus en plus blanche, presque désinvolte. Cette leçon d’Histoire est d’abord une leçon de style. Olivier Mony