Françoise Sagan a dit un jour que le triomphe rencontré par Bonjour tristesse venait de ce que, pour la première fois, une jeune femme y était décrite faisant l’amour en dehors des liens du mariage sans que cela ne lui coûte les pires calamités (maladie, accident, dépression, enfant…). A la même époque (et même un peu avant, 1952), à New York, un autre « charmant petit monstre » brisait avec un identique succès un autre tabou majeur. Patricia Highsmith avait déjà publié L’inconnu du Nord-Express (dont s’était aussitôt emparé Alfred Hitchcock) et était la « it girl » du moment de la scène littéraire du Village lorsqu’elle fit paraître son deuxième livre, The prize of salt, un roman d’amour lesbien si sulfureux qu’elle dut changer d’éditeur et le signer sous le pseudonyme Claire Morgan. Pourtant, toutes éditions confondues, près d’un an plus tard, elle en avait vendu plus d’un million d’exemplaires. En France, il faudra attendre 1985 pour pouvoir enfin lire ce roman de l’amour heureux entre deux femmes, paru alors chez Calmann-Lévy, sous le titre Les eaux dérobées. Il reparaît aujourd’hui (alors qu’Hollywood en annonce une prochaine adaptation avec Cate Blanchett), cette fois-ci intitulé Carol, et n’a rien perdu de sa force ni de sa beauté curieusement alanguie.
Carol est cette belle femme blonde et mystérieuse qui dans un grand magasin new-yorkais fait basculer la vie de Therese. Therese, 19 ans, orpheline de père, en rupture de ban avec sa mère, vit la vie de bohème et rêve de devenir décoratrice de théâtre, se partageant entre petit ami et grandes espérances. Dans un milieu et une époque où le puritanisme prend parfois l’apparence du mépris de classe, les deux femmes, portées par la force de leur amour, vont savoir protéger tout ce qui l’épuise et le disqualifie. Carol, sorte de roman Harlequin lesbien, est le récit de cette victoire. Comme d’habitude - le bonheur en littérature -, il n’a pas pris une ride. O. M.
