avant-portrait

L’histoire commence en juillet 1998, à Budapest, de manière très romanesque. Alors que son père, Miklos Gárdos, vient de mourir, sa mère, Agnes, tend à Péter deux liasses, "soigneusement attachées avec des rubans de couleur différente", se souvient-il. Avec pour seule explication : "Si ça t’intéresse, tu peux les lire." Un véritable trésor : les lettres d’amour, échangées en 1945-1946, entre celui qui n’était pas encore son père et celle qui n’était pas encore sa mère, dans des circonstances incroyables.

A partir du 15 octobre 1944 et la prise de pouvoir des Croix fléchées, les Juifs hongrois ont été persécutés, déportés, comme ailleurs dans l’Europe conquise par les nazis. Miklos, et celle qui sera Lili dans le roman et dans le film de leur fils, ont survécu aux camps. Ils ont été envoyés en Suède par la Croix-Rouge. Elle, pour soigner un problème rénal. Lui, pour mourir. Car lorsqu’il arrive dans l’île de Gotland, les médecins diagnostiquent une tuberculose et lui donnent six mois à vivre. Alors Miklos, poète et journaliste avant la guerre, décide d’en profiter. Il se procure la liste des femmes juives hospitalisées alentour et adresse, aux 117, une lettre. Trente répondent. Dont une certaine Agnes Reich, avec qui l’échange se prolonge, s’intensifie. Après des mois de lutte, à la fois contre la maladie, l’administration, les règlements, et aussi la bêtise, Miklos et Agnes finissent par se rencontrer, s’aimer, se marier - après s’être convertis au protestantisme. Puis ils rentrent chez eux, font leur vie, ont un fils. A qui ils n’ont jamais raconté leurs vies.

"J’ai appris que j’étais juif par hasard, poursuit Péter Gárdos, à l’âge de dix ans. J’avais frappé un jeune Juif, et mon père m’a dit : "Toi aussi, tu es juif." Ce fut tout." Miklos avait honte d’avoir survécu à la Shoah, et honte de ce qu’il avait dû faire pour survivre : dans son camp, fossoyeur volontaire en échange d’un peu de nourriture supplémentaire, il avait brûlé les corps de ses frères. "En Hongrie, le regard de l’autre est quelque chose de capital", explique Agnes, 93 ans, petite dame et sacré caractère. Les Gárdos ne parleront plus jamais de tout ça, ni de la guerre, ni de religion. Et Miklos est devenu un journalistique politique en vue dans les années 1960-1970, un écrivain qui n’a jamais encouragé son fils à le devenir. "C’était quelqu’un de très strict, dit Péter, avare de compliments. Mais, après sa mort, on a retrouvé un cahier entier de coupures de presse sur mes films. Il gardait tout, comme les lettres !"

L’ombre du père

A partir de cette matière d’exception, Péter Gárdos, cinéaste, décide de faire un film. Il se lance dans l’écriture du scénario, dès 2005. Puis, il en tire un roman, La fièvre de l’aube, qui paraît en 2010 chez un petit éditeur : "Il s’en est vendu 500 exemplaires, c’est déjà énorme, mais en cinq ans !" Et cinq ans plus tard, le film, son dixième, en hongrois sous-titré anglais (Fever at dawn), sort, et le roman reparaît, chez Libri, le plus grand éditeur du pays, devenant un best-seller : 30 000 exemplaires vendus, plusieurs traductions en cours, dont en français. "Ma mère ne voulait pas que je fasse le film, ni le livre, raconte Gárdos. Elle m’a demandé de changer son nom. Elle trouvait l’actrice moins jolie qu’elle. Et puis, elle a lu le livre terminé, et elle a aimé le film." A la fin de la projection, à Budapest, Agnes-Lili pleurait.

Quant à Péter, libéré désormais de l’ombre du père, il a déjà commencé un autre roman et prépare un nouveau film, "sept histoires érotiques dans le XXe siècle". La fièvre de l’aube devrait sortir sur nos écrans cette année. Jean-Claude Perrier

Péter Gárdos, La fièvre de l’aube, Robert Laffont. Traduit du hongrois par Jean-Luc Moreau. Prix : 19,50 euros. Sortie : 11 avril. ISBN : 978-2-221-19128-6

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