23 août > Premier roman France > Sarah Manigne

Le rapport qu’entretient le peintre à son sujet est toujours ambigu. Le sujet fascine l’artiste, l’inspire, l’excite, l’exalte. En même temps qu’il est réduit à une sorte de matériau, le sujet du tableau devient l’objet de la peinture. Celle ou celui qui pose sous le regard du peintre n’est plus que texture, couleurs, lignes, volume, dessin. Alors que le désir se consume dans sa propre réalisation, la jouissance de son accomplissement. Chez l’artiste, le plaisir scopique se sublime dans la concrétion d’une œuvre. Est-ce l’interdit d’une sorte d’inceste esthétique? Louis Capelan, protagoniste du premier roman de Sarah Manigne, L’atelier, n’a jamais fait le portrait de sa fille Odile. En revanche, la mère de cette dernière, la muse aux "grands yeux clairs en amande", avec "ses sourcils en accent circonflexe", Elena Dimitrovna, appelée tour à tour Edda, Educhka, c’est sous toutes les coutures. Educhka se renouvelle sans cesse et insuffle chez l’artiste un esprit neuf: "elle a immédiatement cru en son talent et y a cru tellement fort qu’elle l’a forcé à y croire lui-même". Car loin d’être passive, c’est un imprésario hors pair: sans elle, il serait resté Louis Lerieux et aurait repris l’étude de son père, surnommé "le Comptable" par l’égérie.

Enfin, bien des années plus tard, Louis, devenu célèbre, peint Odile. Et la fille de se remémorer les odeurs de térébenthine de "la Monnaie", l’atelier sis dans la rue éponyme, son abandon à son destin de petite fille, et d’interroger son rapport au géniteur créateur, sa difficile émulation sur la voie de l’art. S. J. R.

08.06 2018

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