Se tailler une place sur le marché ultra-compétitif du livre de poche en polar est un défi de taille, surtout face aux mastodontes de l'édition, qui trustent « 95% du marché », selon Yannick Dehée, fondateur de la maison indépendante Nouveau Monde. Et pourtant. En l'espace de deux ans, l'éditeur est parvenu à imposer sa nouvelle collection de poche « Sang-froid », grâce à une stratégie bien rodée et une approche originale du polar.
Un pari risqué (mais bien calculé)
Pendant la période Covid-19, le constat était sans appel : « Les indépendants ne faisaient même pas 5% car si on enlève les éditions Gallmeister, on tombe à 1,8 ou 2 % », explique Yannick Dehée.
Plutôt que de tenter de rivaliser avec les grandes collections existantes, Nouveau Monde a décidé de se positionner différemment en 2023. « L'idée, c'était de ne surtout pas chercher à concurrencer les grands éditeurs. On se concentre sur ce qu'on appelle "le polar du réel" : des romans d'espionnage, des polars à clé, des ouvrages très documentés », détaille l’éditeur. Exit les tueurs en série et les thrillers domestiques, don, et place à des intrigues ancrées dans des faits réels et nourries par une documentation solide.
Identité graphique forte
Outre cette approche éditoriale, l'identité graphique de la collection joue un rôle majeur. « Les couvertures de Mathieu Persan sont très distinctives », affirme Yannick Dehée, qui a retenu les bons conseils d’Oliver Gallmeister. La collection« Sang-froid » est rapidement devenue identifiable en librairie, incitant les lecteurs à revenir découvrir d'autres titres.
Un autre facteur clé du succès de Nouveau Monde est la régularité des parutions. « Si l'on veut imprimer sa marque chez les libraires, il faut arriver régulièrement avec des nouveautés », considère celui qui a monté sa maison il y a vingt-cinq ans. Nouveau Monde a donc adopté un rythme soutenu de douze titres par an, avec des doubles publications. Cette stratégie permet d'occuper l'espace et d'ancrer durablement la collection dans l'esprit des professionnels et des lecteurs.
Par ailleurs, en écoutant attentivement les retours du marché, Nouveau Monde a su ajuster son calendrier de publication. « On nous a fait remarquer qu'il y avait un creux en août dans les rayons polar, car les grands groupes concentrent leurs efforts sur la rentrée littéraire. On a donc avancé des parutions pour occuper ce terrain délaissé », souligne Yannick Dehée. Un choix qui s'est avéré pertinent, les enseignes accueillant favorablement ces sorties estivales.
Une stratégie combinant inédits et rééditions
Si au départ, la collection « Sang-froid » devait surtout se composer de rééditions, la maison a rapidement rééquilibré son offre. « Finalement, nous avons réussi à proposer une moitié d'inédits, ce qui nous permet d'attirer à la fois des lecteurs en quête de nouveautés et ceux qui veulent redécouvrir des titres cultes », explique Yannick Dehée, fier d’avoir dépassé les 6 000 ventes avec le premier volet d’Une enquête berlinoise de Volker Kustcher, Le poisson mouillé (2023, trad. Magali Girault), qui a inspiré la série télévisée Babylon Berlin.
Une opération commerciale en juin
Avec déjà une vingtaine de milliers d'exemplaires vendus, la collection « Sang-froid » est en train de s'affirmer dans le paysage, au moins dans l’activité de la maison. Avec l'autre collection de poche en Histoire lancée en parallèle, et une trentaine de titres, Nouveau Monde réalise 50% de son chiffre d'affaires.« Notre objectif est de placer chaque année plusieurs titres au-dessus des 5 000 ventes et de construire un vrai fond, car notre catalogue est encore jeune », indique Yannick Dehée. Pour 2025, Nouveau Monde a déjà programmé ses 12 nouvelles sorties dès mars jusqu'en septembre, et prévoit d'intensifier ses efforts promotionnels avec une opération commerciale en juin.