Poche

Poche : le succès sur mesure

Le rayon poches de la librairie L'écume des pages dans le 6e arrondisement de Paris. - Photo Olivier Dion

Poche : le succès sur mesure

Porté par son petit prix, ses auteurs stars et des stratégies marketing qui s'affinent, le secteur du poche tire plutôt bien son épingle du jeu depuis le début de la crise sanitaire. Les éditeurs s'efforcent de mieux façonner les phénomènes de vente en apportant un soin maniaque à la fabrication et en recrutant des prescripteurs. _ par Isabel Contreras

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Par Isabel Contreras,
Créé le 22.05.2020 à 02h03

Sans surprise, le poche a plutôt bien résisté au confinement général décrété pour lutter contre le Covid-19. Alors que le marché du livre s'effondrait de 60 % et plus dès le début de la crise sanitaire, les petits formats dominaient le palmarès des meilleures ventes GFK/Livres Hebdo. Ils l'ont fait pendant deux mois. Les nouveautés de Guillaume Musso, Aurélie Valognes ou Michel Bussi ont côtoyé des titres de fonds comme La peste d'Albert Camus (Folio) dont les ventes se sont envolées dès février. « C'est au cours de périodes d'inquiétude que la littérature apparaît comme une valeur refuge, réagit la directrice de Folio (Gallimard), Anne Assous. Les lecteurs se tournent vers des classiques pour essayer de mieux comprendre le monde et se rassurer ».

Anne Assous, Folio Gallimard- Photo OLIVIER DION

L'éditeur assure toutefois que ce regain de popularité n'est pas seulement dû à l'actualité, l'œuvre complète de Camus étant l'un de ses grands enjeux de l'année, à l'occasion du 60e anniversaire de sa mort. « Nous avons exclusivement travaillé sur ce dispositif pendant des semaines (en 2019), explique Anne Assous. De l'événementiel à de la PLV en passant par la réalisation d'un court-métrage et de pastilles vidéos puis la mise en place de partenariats inédits et multiples... Nous nous efforçons de mettre en place beaucoup plus d'initiatives dans le but de renouveler le lectorat d'un auteur. » Le poche, dont les ventes en valeur ont progressé de 1,5 % en 2019 d'après nos données Livres Hebdo/Xerfi I+C, contre + 1,3 % pour l'ensemble du marché du livre, n'attend pas une crise sanitaire pour faire parler d'une œuvre.

Uugues Jallon, Seuil- Photo OLIVIER DION

Fabrication soignée

Les éditeurs des grandes maisons du secteur, dont quatre concentrent à elles seules près de 60 % des parts de marché, définissent des orientations plus précises et ciblées pour leurs titres à haut potentiel. « Désormais, afin de capter de nouveaux publics, nous établissons des politiques différenciées par segment, observe Marie-Christine Conchon, P-DG d'Univers poche (Editis). Nous ne travaillons plus de la même manière les policiers thrillers, la non-fiction où la littérature étrangère ». Résultat : « chaque lancement relève du travail d'orfèvre. Les décisions sont très réfléchies », résume Charlotte Lefèvre, directrice éditoriale de Pocket. À commencer par le choix des couvertures. Les éditeurs et leur équipe artistique réfléchissent ensemble aux différentes options visuelles pour chaque livre. Ces « briefings », inexistants il y a quelques années seulement, donnent lieu à des petits formats aux allures de collector, comme la dernière nouveauté de Maxime Chattam, Le signal. S'inspirant du grand format, le fabricant Rodolphe Gottstein a travaillé un papier spécial capable « d'encaisser la charge d'encre » présente sur une bordure noire. Un coût de fabrication non négligeable pour un titre qui a été initialement tiré à 100 0000 exemplaires.

Béatrice Duval- Photo OLIVIER DION

Agnès Ledig a elle aussi eu droit à un briefing à la faveur de son arrivée au catalogue du Livre de poche (Hachette Livre) en 2018. « Pour son nouveau roman en poche, Dans le murmure des feuilles qui dansent, nous sommes convenues avec l'auteur de donner une inflexion plus littéraire, en particulier par un choix de couverture très différent des précédentes éditions poche », indique Béatrice Duval, directrice générale du Livre de poche. Même principe chez J'ai lu (Flammarion), où la parution en poche du premier titre de l'auteure de best-seller québécoise Lise Bourbeau, Écoute ton corps, a fait l'objet de discussions. « Nous faisons de la haute couture avec chaque parution, les efforts sont considérables », assure la directrice de la maison, Hélène Fiamma, qui cite aussi la fabrication spéciale dont ont bénéficié les livres de Bruno Combes. Chez Folio, le rechartage des romans de Maÿlis de Kerangal a été le résultat de « trois mois d'échanges » entre l'auteure et l'éditeur. Ces changements de look peuvent parfois être à l'origine d'un repositionnement de marque.

Stratégie du fonds

A l'occasion de son 50e anniversaire, la filiale poche du Seuil (Média-Participations), Points, a imaginé une nouvelle charte graphique et remis en avant 50 titres du fonds. Les couvertures arborent un fond blanc sous une illustration rectangulaire qui rappelle le format Polaroid... ou Instagram ? Par ces choix, l'éditeur amorce un mouvement stratégique vers une politique de groupe qui repose sur le rapprochement des éditeurs grand format du Seuil et de Média-Participations avec cette maison de poche. « Je souhaite mettre fin à la participation de Points à des enchères aux sommes délirantes, lance Hugues Jallon, qui cumule depuis l'an dernier sa fonction de P-DG du Seuil avec la direction générale de Points. Il faut aller vers des backlists, ressusciter des livres du fonds et développer aussi la non-fiction ».

J'ai lu opère un mouvement similaire en réorientant sa stratégie vers la politique d'auteur, après avoir privilégié la production d'inédits ces quatre dernières années. Les trois labels que l'éditeur avait lancés en 2018 s'arrêtent pour faire place à une seule et nouvelle collection, « Les Iconiques », entièrement dédiée au fonds. L'éditeur a diminué de 10 % sa production en 2020. « Cette décision est le corollaire d'un travail plus méthodique et approfondi du fonds », confirme Hélène Fiamma, qui est arrivée en mai 2019 à son poste.

Même si Harper Collins Poche a déjà participé à des enchères, sa première et nouvelle responsable éditoriale, Éloïse Offredi, auparavant chez J'ai lu, démarre naturellement par l'alimentation de son fonds pour structurer cette maison de poche lancée en début d'année. « Je constitue un groupe de lecteurs pour faire le tri dans la production mais aussi pour éplucher les fonds des filiales Harper Collins US et UK », raconte cette trentenaire. Pour cette première année, l'éditeur va notamment s'appuyer sur deux segments, le noir et les documents.

Nouveaux prescripteurs

Le fonds, qui représente en moyenne 50 % du chiffre d'affaires des maisons d'édition de poche, se révèle plus important que jamais en période de crise où lorsque la maison ne compte pas au programme de l'année des poids lourds du grand format, comme Fred Vargas et Anna Gavalda chez J'ai lu ou Elena Ferrante chez Folio, toutes trois absentes des nouveautés poche en 2019.

Ainsi, l'animation du fonds répond aussi à des stratégies plus fines, conçues par les équipes éditoriales avec le marketing et la communication. Quand 10/18 s'est penché sur la remise en avant des titres de Jim Harrison, il a fallu travailler les visuels mais aussi « créer de la nouveauté » en ajoutant des préfaces, cette fois-ci signées François Busnel. Le journaliste « a été également associé à l'événementiel et devait participer à une soirée à la Maison de la poésie [prévue le 25 mars et annulée en raison du confinement, NDLR]. », indique sa directrice éditoriale Carine Fannius. Les personnalités peuvent de cette façon devenir des ambassadeurs de renom lorsqu'il faut défendre un classique. Le chanteur et auteur Mathias Malzieu a parrainé le programme de célébration du centenaire de la naissance de Boris Vian publié au Livre de poche quand les artistes Patti Smith et Abd Al Malik ont loué en janvier la plume de Camus à l'occasion de la parution en poche de la Correspondance entre l'écrivain et Maria Casarès.

Libraires et enseignants

Mais les prescripteurs numéro 1 restent les libraires et, là aussi, les éditeurs de poche essayent d'innover dans leurs approches. Pocket continue d'organiser ses journées Evolution dédiées au bien-être ainsi que ses matinées Polar. Les libraires rencontrent alors des personnalités ou d'autres professionnels, à l'image de la responsable de la programmation de Quais du polar Hélène Fischbach, et repartent avec des données sur le marché fournies par l'éditeur.

Dans une approche plus « pédagogique », Folio, dont les collections sont très présentes en premier niveau, a organisé en octobre une journée de formation pour les libraires de Cultura. « Nous expliquons comment nous procédons au tri des livres à partir des parutions en grand format et donnons des idées pour animer le fonds », détaille Anne Assous.

Les enseignants sont aussi choyés par les éditeurs de poche. « Nous proposons de plus en plus de dossiers pédagogiques sur des titres contemporains, pour lesquels les demandes des enseignants sont fortes », affirme Béatrice Duval qui rappelle le succès du dossier sur Petit pays de Gaël Faye. Chez Folio, Anne Assous met en avant le travail réalisé cette année sur le dossier pédagogique de 1984 de Georges Orwell à la faveur de sa nouvelle traduction. L'éditeur a publié sur son site un entretien de la traductrice, Josée Kamoun, et recruté un professeur pour élaborer une séquence pédagogique.

Les principaux éditeurs

Tandis que Madrigall demeure quasiment stable, Hachette Livre et Editis ont renforcé, en 2019, leur poids sur le marché du poche dont les trois leaders assurent 75 % de l'activité, contre 69,7 % en 2018.- Photo LIVRES HEBDO/GFK

Objectif écrans

Courts-métrages originaux, accompagnement de sorties de séries, partenariats décalés... l'image s'est installée au cœur des stratégies marketing de l'édition de poches.

Image extraite du clip « Correspondance » réalisé par Gallimard pour la promotion de la sortie du recueil de la correspondance entretenue entre Albert Camus et Maria Casarès.- Photo DR/COPIE D'ÉCRAN GALLIMARD.

La séquence s'ouvre sur un beau couple, la vingtaine, qui s'aime mais se fuit. Les amoureux se désirent à chaque coin de rue, se courent après, se séparent aussi. Tout au long de ce court-métrage d'environ 2 minutes, les protagonistes sont en 2020 et récitent des extraits des lettres de la Correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès. La bande-son est originale, les séquences sont rythmées par des images exclusives d'archives de Gallimard où l'on voit l'écrivain avec l'actrice... Folio a investi des moyens exceptionnels pour la sortie en poche des Correspondances en janvier. Un cran au-dessus du booktrailer, ce film rend « cool » et intemporelle l'écriture d'un grand écrivain patrimonial comme Camus. « Il fallait passer par l'image pour capter un public plus jeune, perpétuellement accroché à son smartphone », défend Hélène Masanelli, directrice marketing de Folio.

L'image, l'écran, sont au cœur des stratégies marketing dans le poche. « C'est aussi grâce à l'image que l'on peut rendre compte de l'univers de l'auteur », rappelle la directrice générale du Livre de poche, Béatrice Duval. Au Livre de poche, l'auteur Joseph Knox a -simulé en décembre un interrogatoire de police pour présenter son livre, Sirènes. Mis en scène dans les locaux de l'éditeur, la vidéo a recueilli de nombreuses vues sur la chaîne Youtube du Livre de Poche.

En quête de clics

La diffusion de vidéos publicitaires peut se révéler très fructueuse dans le cadre d'une campagne de remise en avant du fonds. Pocket s'est félicité de la performance d'une interview de Marc Levy sur Brut, réalisée à l'occasion du 20e anniversaire de l'auteur dans le catalogue de cet éditeur issu du groupe Editis. « Ce média nous avait garanti 500 000 vues et la vidéo a atteint ce score en seulement trois jours », assure Charlotte Lefèvre. Les partenariats avec des sites en ligne ne cessent de se développer. Pour la sortie en poche des Recettes de la vie du chroniqueur culinaire Jacky Durand, Folio n'a pas hésité en mars à se rapprocher du site Marmiton. L'éditeur a mis une vidéo en ligne et de l'habillage sur le site. Il a aussi obtenu une chronique du livre sur le magazine de cette populaire plateforme culinaire.

Effet séries

Si jusqu'à présent, les éditeurs de poche ne rataient pas une sortie cinéma pour appuyer un titre du fonds, aujourd'hui ils peuvent aussi compter sur les séries et l'essor de Netflix, OCS ou Canal+ Séries. Chez Pocket, Harlan Coben a vu trois de ses livres adaptés sur Netflix cette année, Intimidation en janvier, Dans les bois prévue pour juin et Innocent, attendue en novembre. Actes Sud a décidé de reporter à septembre la parution en poche chez «Babel» de Patria de Fernando Aramburu afin de s'aligner sur la sortie de la série, produite par HBO. Qu'il s'agisse d'un film ou d'une série tv, « ces sorties relancent les ventes », affirme -Béatrice Duval au Livre de poche. En août dernier, le seul tome I de la série After d'Anna Todd s'est revendu à 200 000 exemplaires à la faveur du film. 

Les 50 meilleures ventes en poche

L'écart se creuse entre les deux leaders du classement GFK/Livres Hebdo des 50 meilleures ventes d'ouvrages au format poche, Le livre de poche et Pocket, qui y placent respectivement 23 et 16 titres. Alors que ceux de Guillaume Musso et de Raphaëlle Giordano occupaient depuis deux ans les deux premières places du podium, quatre titres parus au Livre de poche se sont glissés entre ces deux best-sellers. Parmi eux, Changer l'eau des fleurs de Valérie Perrin, véritable phénomène de ventes avec près de 500 000 exemplaires vendus depuis sa parution il y a un an.

Bernard Minier (Sœurs, 16e) et Liane Moriarty (Un peu, beaucoup, à la folie, 18e) sont de retour dans le top 20. Folio affiche une belle performance sur le dernier titre de Sylvain Tesson, Sur les chemins noirs (31e rang) tandis que J'ai lu tire son épingle du jeu avec Alice Zeniter, prix Goncourt des lycéens pour L'art de perdre (21e rang).

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