Livres Hebdo : Pourquoi avoir racheté Decitre et Decitre Interactive ?
Pierre Coursières : Pour accélérer notre croissance qui n'était pas assez rapide. Le Furet s'est développé en créant des magasins. Il fallait passer à la vitesse supérieure en recourant à la croissance externe. Nous avons échoué en 2017 dans notre tentative de racheter Sauramps à Montpellier, mais nous avons finalisé début 2018 la reprise de deux librairies en Belgique. C'était un premier pas. En reprenant Decitre, nous doublons notre puissance de feu avec un chiffre d'affaires de 143 millions d'euros dont près de 100 millions dans le livre. Nous passons devant Gibert et devenons le premier libraire de France. La taille est un facteur important face à des partenaires de plus en plus concentrés en amont et face à des besoins d'investissement lourds dans le digital.
Vos principaux actionnaires sont des fonds d'investissement, présents dans votre capital depuis dix ans. L'accélération de votre développement répond-elle à leur volonté de rendre plus attractive l'entreprise pour mieux la céder ?
P. C. : Je comprends la question. Mais ce n'est pas le cas. Nord Capital Partenaires est un fonds régional capable d'accompagner une entreprise pendant vingt-cinq ans s'il le souhaite. Notre stratégie, qui a été validée par nos actionnaires, a d'abord pour but de pérenniser l'entreprise. Reste qu'en changeant de taille notre groupe peut susciter l'intérêt de nouveaux actionnaires.
Le Furet et Decitre sont des enseignes plus que centenaires, fortement implantées sur leur territoire d'origine, respectivement les Hauts-de-France et la région Rhône-Alpes. Qu'est-ce qui, selon vous, explique qu'aujourd'hui la première reprenne la seconde ?
P. C. : Sans doute le Furet en avait-il plus envie que Decitre. Depuis quinze ans, on nous parle de mariage. Eh bien, cet été, je suis allé voir Guillaume Decitre pour lui proposer un rapprochement.
Les deux enseignes ont, chacune, une identité très forte. Comment vont s'articuler les activités du nouveau groupe ?
P. C. : Nous ouvrons une troisième voie. Les deux marques, Furet du nord et Decitre, seront maintenues et se développeront chacune de leur côté. Notre projet n'est pas basé sur la recherche d'économies d'échelle mais sur le développement. Notre vocation est d'animer, sous une même plateforme industrielle, diverses enseignes et de les faire prospérer. Il y a de très belles librairies qui ont besoin de structure comme la nôtre pour pérenniser leur avenir.
Quelles vont être vos actions prioritaires ?
P. C. : La première chose à faire est d'acculturer les deux enseignes. Cette opération est d'abord une aventure humaine. Il ne s'agit pas d'imposer mais de développer les synergies opérationnelles en prenant le meilleur de chacun. Notre premier geste a été de créer un comité de direction commun aux deux marques, avec, entre autres, un DGA, Christophe Desbonnet, qui était DGA du Furet, et une directrice de l'offre, Laurence Lauters, qui était directrice des achats chez Decitre.
Quelle est la structure qui va chapeauter tout cet ensemble ?
P. C. : A ce jour, c'est notre holding FDN Finance.
Quelles sont, selon vous, les grandes forces de Decitre ?
P. C. : Contrairement au Furet, Decitre a beaucoup investi dans le digital. J'ai été impressionné par son niveau de professionnalisme. En connectant Furet.com, qui fonctionnait encore avec du picking, sur l'outil Decitre, nous allons améliorer nos services. C'est ce qu'attend le marché, également sollicité par des opérateurs américains puissants et performants. A l'échelle du nouveau groupe, nous réfléchissons à de nouveaux services, notamment d'autoédition pour les auteurs.
Decitre a aussi davantage développé ses activités auprès des collectivités que le Furet.
P. C. : Decitre est leader dans la vente de livres aux collectivités avec un chiffre d'affaires sur ce marché de 22 millions d'euros, contre 6 millions pour le Furet. Dans la mesure où l'outil développé par Decitre est très performant, le Furet va l'utiliser pour développer ses parts de marché.
Dans les magasins, allez-vous unifier l'offre de deux enseignes ?
P. C. : Notre volonté est de pousser chez Decitre l'offre du Furet, qui est plus diversifiée. L'objectif est de limiter notre dépendance au seul marché du livre. Au Furet, les jeux et jouets sont devenus, en dehors du livre bien sûr, le premier rayon. C'est une offre très cohérente avec notre identité d'enseigne culturelle, et qui dégage des marges supérieures à celle du livre.
Allez-vous centraliser vos achats ?
P. C. : Ce qui va être centralisé, ce sont les négociations des conditions commerciales et des taux de remise. Notre taille nous offre un nouveau pouvoir de négociation.
Vous devenez propriétaire de la base de données ORB. Quels sont vos projets dans ce domaine ?
P. C. : Nous allons étudier le sujet, sachant qu'aujourd'hui il y a trois bases sur le marché : ORB, Electre et Mediabase.
Guillaume Decitre conserve la plateforme numérique TEA. Vous n'étiez pas intéressé ?
P. C. : TEA a un actionnariat multiple et n'a jamais fait partie des discussions. Mais le Furet est et reste client de TEA.
On parle, pour la reprise de Decitre, d'un investissement de 11 millions d'euros. Comment allez-vous le financer ?
P. C. : Le chiffre que vous évoquez vous appartient : je ne le confirmerai ni ne l'infirmerai. Mais, quel qu'en soit le montant, le rachat ne sera pas autofinancé !
Quel est l'état de santé de Decitre ?
P. C. : C'est une société saine, bien que moins rentable que le Furet.
Qu'attendez-vous, sur un plan économique, de ce rachat ?
P. C. : L'objectif est de créer de l'upside pour le groupe. Il s'agit de renforcer notre rentabilité encore et toujours car nous sommes sur des métiers fragiles.
Cette opération ne met-elle pas un frein à vos autres ambitions, notamment en Belgique ?
P. C. : L'accueil que nous avons reçu en Belgique est très bon. Et nous continuerons notre développement en Wallonie au gré des opportunités.
Hormis l'intégration de Decitre, quels sont vos autres chantiers pour 2019 ?
P. C. : Nous allons, comme prévu, déménager l'entrepôt et le siège du Furet qui passeront, fin 2019, de Lomme à Tourcoing, sur un site à peu près équivalent en surface, autour de 7 000 m2.
Comment appréhendez-vous l'évolution du marché du livre ?
P. C. : Le marché du livre est compliqué depuis dix ans. Il faut faire avec, et il faut relativiser. Par rapport au reste du commerce de détail, le marché du livre est remarquablement résilient et résistant. Dans ce contexte, notre politique consiste à avoir les meilleures armes pour affronter l'avenir. W
Le Furet et Decitre en chiffres
Le Furet
20 magasins (dont 2 en Belgique)
450 salariés
83 M€ de chiffre d'affaires en 2018 dont 46 M€ pour les livres
Actionnaires : Vauban Partenaires et Nord Capital Partenaires
Decitre
11 magasins
350 salariés
60 M€ de chiffre d'affaires en 2018 dont 51 M€ pour les livres
Actionnaires : Famille Decitre