Avant-Critique Roman

Pierre Adrian, "Que reviennent ceux qui sont loin" (Gallimard) : Un été en pente dure

Pierre Adrian - Photo © Francesca Mantoani/Gallimard

Pierre Adrian, "Que reviennent ceux qui sont loin" (Gallimard) : Un été en pente dure

Pierre Adrian cisèle un roman tendre et grave sur l'impermanence des choses et des êtres.

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Par Jean-Claude Perrier
Créé le 27.07.2022 à 09h00

Il est assez rare de trouver, chez un auteur si jeune (Pierre Adrian est né en 1991), une telle maîtrise, notamment stylistique : Adrian écrit une belle langue française classique, tenue − imparfait/passé simple/imparfait du subjonctif −, avec peu de dialogues, et aucune concession au négligé si courant de nos jours. Il fait preuve également d'une gravité inhabituelle pour son âge. Son narrateur (son double ?), dont on ne saura jamais le prénom, est hanté par l'impermanence des êtres et des choses, la vieillesse et la mort, lui qui, trentenaire, avoue : « il existait déjà une première vieillesse en moi. »

Tout l'invite à la mélancolie, y compris, après avoir parcouru le monde, revenir passer une moitié d'été, un mois d'août, en Bretagne, dans « la grande maison » de famille où il n'était pas retourné depuis huit ans. Tout y paraît semblable, immuable, mais tout a bien changé, lui d'abord. Au sein de la tribu, du clan, il ne fait plus partie des jeunes, mais des adultes, des oncles. Il est un peu ennuyeux, sentencieux, posant même au « père sans enfant » auprès du petit Jean, un garçon lumineux de 6 ans pour qui il s'est pris d'une affection particulière.

Sinon, la maison n'a pas bougé, figée dans la succession des mois d'août. La « petite grand-mère », veuve depuis dix ans d'un marin grand voyageur, est toujours de ce monde, provisoirement. Elle va sur ses 100 ans. Les oncles et tantes ont un peu blanchi aussi, comme François, le gentil bricoleur anarcho-pacifiste, sa femme Catherine, sérieuse, « économe en mots », ou encore Yvonne, paysanne du Léon, veuve de l'oncle Joseph, des fermiers et les seuls à avoir la télé, chez qui l'on venait voir jadis « Fort Boyard » le samedi soir. Et il y a aussi la belle cousine Anne, farouche, insaisissable, qui accordera quand même ses faveurs au narrateur, après une fête du port, le 15 août, avec son bal particulièrement arrosé. Après le 15 août, certains plient déjà bagage, le temps change, et l'automne s'annonce avec sa nostalgie. Et Pierre Adrian d'en profiter pour décrire la splendeur du Léon qu'il sillonne seul à vélo, plutôt attiré vers l'intérieur avec ses prairies, ses églises et leurs calvaires, que vers la côte et ses abers, paradis des vacanciers, sa famille et les autres.

Que reviennent ceux qui sont loin, beau titre emprunté au Métier de vivre de Cesare Pavese (Adrian, italianisant, a commencé sa carrière littéraire en 2015 avec un récit sur Pasolini) aurait pu être simplement un roman sensible, tendre et grave, sur le temps qui passe et la jeunesse qui s'enfuit. Cela n'était déjà pas si mal. Mais, à plusieurs reprises, on nous laisse ressentir un malaise, pressentir un drame, autour du petit Jean. Alors tout bascule. À partir de là, l'été en pente douce glisse vers le dur et rien, dans la grande maison où l'on reviendra quand même l'été prochain comme à son port d'attache, ne sera plus jamais comme avant.

Pierre Adrian
Que reviennent ceux qui sont loin
Gallimard
Tirage: 12 000 ex.
Prix: 20 € ; 192 p.
ISBN: 9782072989681

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