Devant le rayon livres de l'hypermarché Leclerc de Rueil-Malmaison. - Photo Olivier Dion
Peut-on sauver le livre en hyper ?
Pour répondre à la baisse régulière, depuis sept ans, de leurs ventes dans les hypermarchés et supermarchés, les diffuseurs de livres adoptent une politique volontariste en pratiquant un accompagnement de plus en plus spécifique auprès de chaque enseigne. Les résultats sont contrastés. _ par Cécile Charonnat
Alors que le printemps annonçait des jours meilleurs, et le retour de la croissance, et que l'été s'est révélé moins malheureux qu'en librairie indépendante, la rentrée a sonné la fin de la récréation pour le livre en hypermarchés. En septembre, les ventes sont reparties à la baisse, enregistrant, d'après nos données Livres Hebdo/I+C, un spectaculaire - 12 %, suivi d'un - 14 % en octobre, provoquant la chute de la tendance annuelle à - 4,5 %. Impressionnante sur un marché déjà tendu, la contre-performance vient toutefois confirmer une tendance qui s'enracine depuis plusieurs années dans les hypermarchés (voir graphique p. 20). « En dix ans, entre 2007 et 2016, les grandes surfaces alimentaires [GSA] ont perdu près de 30 % en valeur sur la BD jeunesse et le manga, et le double sur la bande dessinée pour adolescents et adultes. C'est un véritable effondrement », pointe Stéphane Aznar. Dépité face à ce constat, le directeur général de Média Diffusion, comme ses confrères diffuseurs, ne parvient pas néanmoins à « se résoudre à cette baisse » et persiste à penser qu'il faut « absolument continuer à travailler ce réseau ».
Cette politique volontariste est sans doute motivée par le poids que représentent encore les hypermarchés, comparables désormais à celui de la vente en ligne (voir page 19). « Ce sont des points essentiels de vente du livre », confirme Marie-Pierre Sangouard, directrice générale adjointe chargée du développement commercial chez Interforum. Toujours gros générateurs de trafic, comme l'analyse Franck Gintrand, délégué de l'Institut des territoires (voir page 21), les hypermarchés constituent le réseau qui couvre le plus largement le territoire et permet d'amener le livre au plus près des potentiels lecteurs. Il représente en outre un moyen inégalable de mettre du livre dans les mains de gens qui n'en achètent que très peu, ou pas. « Les achats spontanés de livres s'élèvent à 53 % en hypermarché contre 28 % en moyenne dans les autres circuits, ce n'est pas négligeable », observe Marie-Pierre Sangouard sur la base des études menées par l'institut GFK.
La force de frappe de la GSA reste donc indéniable, et son pouvoir d'amplificateur indispensable, notamment pour certains types d'ouvrages. Que seraient les poches, certains segments de la jeunesse, la new romance, les livres des youtubeurs ou certaines collections, comme « Martine » ou les cahiers de vacances, sans les hypermarchés ? « Ils peuvent assurer jusqu'à 50 % des ventes de ces produits. Si le livre disparaît de la GSA, ces genres y perdront grandement, et les éditeurs aussi », rappelle Marie-Pierre Sangouard.
Donner envie
Dès lors, que faire pour enrayer la glissade ? « Leur donner envie de continuer à travailler le livre et leur montrer à quoi cela sert », martèlent les diffuseurs, à l'image de Corinne Peretti, directrice commerciale GSA chez Madrigall. Engagés dans un mouvement de retour vers l'alimentaire, les hypermarchés manifestent une moindre appétence pour le livre, d'autant que sa gestion complique la place que les enseignes sont prêtes à lui accorder. Il nécessite un stock important, donc encombrant, des outils de gestion adaptés, du personnel qualifié et une grosse masse salariale. Ces critères plombent sa présence dans la GSA, où chaque produit doit payer son emplacement et assurer sa rentabilité.
Le choix de chaque enseigne
Outre la densification de la concurrence, la problématique du livre en hypermarché se heurte aux choix de chaque enseigne. « Ce n'est ni un problème de moyen, ni un problème de trésorerie, mais bien de partis pris, de stratégie adoptée et de place accordée à ce produit », analyse la directrice commerciale GSA de Madrigall. En retirant le livre du flux passant, Casino n'a pas, par exemple, favorisé les ventes de livre au sein de ses magasins. Encore plus radicale, Monoprix, filiale du groupe Casino, se dirigerait vers une fermeture des rayons livres de certains de ses magasins, privilégiant notamment le développement du secteur de la maison.
A contrario, les GSA qui ont décidé de mettre l'homme au cœur du système comme les centres Leclerc ou Système U (voir page 20), obtiennent, de l'avis général, de meilleurs résultats. « Ces canaux se posent beaucoup de questions sur la manière de vendre le livre, et plus globalement, le non-alimentaire, considère David Gobert, directeur général de Dilisco. Beaucoup se cherchent toujours et peu proposent aujourd'hui des projets ciblés. Ce qui explique qu'ils soient davantage dans une stratégie défensive qu'offensive. »
Cet entre-deux est encore renforcé par la situation du marché du livre. « Il est compliqué de demander aux hypermarchés d'investir en place et en personnel alors que le marché est en décroissance molle, et le bio en pleine expansion », indique-t-on chez Madrigall. Pourtant, au sein du groupe présidé par Antoine Gallimard, comme chez les autres diffuseurs, on ne baisse pas les bras. Si les solutions restent assez classiques, chacun cherche avant tout les moyens de simplifier la tâche des enseignes. « Ils sont très soucieux de leur production, donc plus on fera simple, plus on leur fera économiser du temps et plus on aura de chance d'être suivis », estime David Gobert.
Investir dans l'humain
Planogrammes, sorte de photo d'un rayon idéal, sélection des fonds de rayons et de l'offre pour améliorer l'écoulement, merchandising, opérations « clés en main », marketing différencié et category management, les diffuseurs déploient un accompagnement de plus en plus intégré et spécifique selon les enseignes. « Nous sommes quasiment dans l'évangélisation », reconnaît Stéphane Aznar. « C'est un travail toujours plus complet et véritablement main dans la main, abonde Marie-Pierre Sangouard. Certes, cela leur facilite le travail mais nous nous assurons aussi de mettre les bons produits aux bons endroits. »
Ces techniques se heurtent à l'organisation centralisée des hypermarchés, plus ou moins développée selon les enseignes. Entre ce qui est négocié entre un diffuseur et un acheteur, et la réalité du magasin, le fossé se révèle parfois grand. Un phénomène encore plus prégnant en l'absence de gestionnaire de rayons et que cherchent à contrer les diffuseurs en maintenant, pour la plupart, des équipes de représentants spécifiques. Relais des opérations négociées avec les centrales, ils vérifient notamment les mises en place et peuvent aller jusqu'à donner un coup de main. Dans la même optique, les diffuseurs veillent à conserver des responsables grands comptes spécialisés par enseignes afin de s'adapter, de connaître le plus finement possible les outils et les spécificités de gestion. « On doit leur proposer un travail de dentelle », assure Corinne Peretti.
L'événementiel
Autre levier d'action, privilégier l'esthétique et la fonctionnalité. En quête de gain de place et de rentabilité, les hypermarchés cherchent aussi à esthétiser leurs rayons. Le petit mobilier beau, économe au sol mais que l'on voit quand même et qui permet de sortir l'offre du rayon reçoit désormais une certaine attention. Alerter sur les grandes tendances et les segments qui émergent, tels les youtubeurs en ce moment, est également apprécié par les enseignes. « Jouer la carte de l'événementiel est aujourd'hui pertinent, signale Marie-Pierre Sangouard. Et ce sera d'autant plus vrai que les rayons de livres en hypermarché vont sans doute être amenés à être toujours plus éphémères et saisonniers. »
Rayons très courts privilégiant les hyper-best, la saisonnalité ou la thématisation, corners spécialisés tenus par des acteurs extérieurs... Si les diffuseurs restent globalement circonspects quant à la place du livre dans les hypermarchés à moyen terme, ils demeurent convaincus que le livre « doit faire partie de leur assortiment, martèle David Gobert. Ce serait une erreur de le mettre de côté. C'est un objet vivant, en lien avec nombre de produits vendus dans leur magasin et qui leur offre encore de bonnes conditions commerciales permettant par exemple d'équilibrer un compte d'exploitation. » Le livre est aussi un outil idéal pour se différencier de la concurrence, notamment dans les zones rurales, « réenchanter les magasins » et créer du lien et de l'événement. Une piste qu'explore la grande distribution, au même titre que la librairie indépendante.
Le livre, produit différenciant
En six ans, votre enseigne a gagné 10 points de parts de marché dans le livre. Comment expliquez-vous cette performance à contre-courant dans le monde des hypers ?
Nous sommes un groupe à vocation alimentaire, mais qui a toujours cru à la culture et à sa démocratisation. C'est dans notre ADN de l'apporter là où elle n'est pas, et notamment dans les zones rurales où nous sommes bien implantés. Depuis dix ans, nous avons donc développé des concepts qui mettent la librairie à l'honneur.
Comment cela se traduit-il dans vos magasins ?
Nous adaptons des codes d'experts et de spécialistes au super et à l'hypermarché. Par exemple, les nouveautés, les meilleures ventes et les livres d'actualité sont présentés sur table en entrée de chaque rayon et suivis par les offres promotionnelles, placées en seconde ligne. Ce travail de requalification de l'offre s'est accompagnée d'une évolution du mobilier et d'un effort sur la présence de personnel en magasin. Si ce n'est pas toujours le cas dans les supers, c'est systématique dans les hypermarchés.
Pourquoi investir dans la culture et le livre, quand plusieurs de vos concurrents font le choix inverse ?
Justement parce que c'est une offre différenciante. Nous nous efforçons de la traiter comme telle en apportant autre chose. Notre prix des Lecteurs, remis en avril, fait intervenir 100 clients lecteurs. Nous constituons une offre alternative à Amazon, en termes de services comme de proximité.
Show-room ou spécialisation alimentaire
Interrogés sur l'avenir du modèle hyper, deux experts exposent à Livres Hebdo leurs projections dissonantes.
Franck Gintrand- Photo DR
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En plein questionnement, l'hypermarché et surtout son avenir divisent jusque chez les experts. S'ils s'accordent sur la mutation en cours du modèle commercial de l'hyper, Franck Gintrand, délégué de l'Institut des territoires et auteur du livre Le jour où les zones commerciales auront dévoré nos villes (Thierry Souccar éditions), et Jean-Louis Martinez, directeur des contributions académiques au sein du groupe d'écoles de commerce Inseec et auteur de La fin des hypermarchés ? Vers une redistribution de la grande distribution (La Charte), ne sont d'accord ni sur les causes, ni sur les perspectives d'évolution des grandes surfaces.
Pour Jean-Louis Martinez, les hypermarchés enregistrent une « perte de trafic due à l'effet conjugué des drive et des pure players, qui questionnent le schéma de la grande distribution ».
Frank Gintrand avance, lui, « une érosion des marges. C'est la rentabilité du modèle qui est en question, et non sa fréquentation. 60 % des Français continuent à faire leurs achats en hypermarché, et c'est particulièrement vrai dans les villes moyennes. »
Modèle américain
Selon le délégué de l'Institut des territoires, l'avenir est donc à chercher du côté de l'immobilier commercial. « A travers la location de locaux commerciaux, les enseignes vendent leur attractivité et trouvent de nouveaux relais de croissance. Mais du coup, elles agrègent autour d'elles une série de commerces complémentaires, proches de ceux que l'on trouve traditionnellement en centre-ville », détaille Franck Gintrand. Dès lors, on se rapproche du modèle américain. « Au schéma "tout sous un même toit", qui fut pendant longtemps le credo de la grande distribution en France, est en train de se substituer la stratégie du "tout autour de moi". » Cette perspective laisse peu de place au livre au sein des hypermarchés, qui privilégieraient de plus en plus l'alimentaire, et consacre plutôt le développement de grandes surfaces spécialisées, ou de librairies, autour des hypermarchés.
A l'inverse, la théorie développée par Jean-Louis Martinez laisse entrevoir un avenir plus ouvert. Pour le spécialiste en stratégie marketing et commerciale, l'hypermarché est appelé à se transformer en « une espèce de show-room où les fabricants et fournisseurs délivreront de l'information et proposeront leurs produits ». Les éditeurs disposent alors d'une belle carte à jouer. « S'ils parviennent à s'emparer de ce concept, veut croire l'enseignant, ils peuvent créer des espaces qui deviendraient des sortes de salons littéraires. Alors, l'hypermarché pourrait devenir un remarquable outil de promotion pour le livre. »
L’auteur de La plus précieuse des marchandises (Seuil), récemment porté à l’écran par Michel Hazanavicius, brosse dans Quand la terre était plate le portrait de sa mère Suzanne, et raconte la toile de fond d’une époque et d’une famille de juifs d’Europe de l’Est qui a dû fuir les pogroms puis survivre l’horreur de la Shoah.
Pour les fêtes de fin d’année et jusqu’au 5 janvier, Paris Aéroport lance « Voyages au cœur des pages », une initiative de collecte solidaire pour le Secours populaire français, avec le soutien de l’enseigne Relay.
Par
Adèle Buijtenhuijs
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