Les yeux rouges, c'est une histoire édifiante de notre temps connecté. L'histoire effrayante d'un piège dont la trentenaire Myriam Leroy démonte les rouages dans ce deuxième roman qui tire sa justesse mordante d'une expérience vécue. Un internaute prend contact sur Facebook avec une journaliste, chroniqueuse sur une radio publique. Ça commence plutôt gentiment, avec cette approche d'apparence inoffensive d'un admirateur qui alimente une page personnelle sous le nom de Denis la menace. Rien de bien méchant. Il se présente - 50 ans, marié, un fils, employé administratif dans une entreprise pharmaceutique -, il se raconte, en parsemant ses messages d'émojis, de MDR et de LOL.

Peu à peu, le ton change. Après les sous-entendus un peu lourdingues, les flatteries, les opinions de moins en moins masquées, viennent les reproches (elle ne répond pas), les messages de plus en plus agressifs, les menaces explicites sous couvert d'humour second degré, jusqu'aux insultes. Les rumeurs accréditées « de source sûre » tissent leur toile. De chaque côté, on prend tout le monde à témoin. Et chacun donne son avis. Les internautes se lâchent sous pseudo. Les proches se défaussent, conseillent de « prendre un peu de distance, un peu de hauteur », exhortent à « relativiser ». Après tout, il n'y a pas mort d'homme, la violence n'est que virtuelle, des mots et quelques images sexistes offensants certes, plaide la majorité, mais les dégâts qu'ils font sur la vie et la santé de la narratrice sont bien IRL. Le dispositif narratif - commentaires et conseils retranscrits au style indirect, fiction dans la fiction - s'avère redoutablement efficace pour décrire la mécanique perverse d'un harcèlement 2.0. Le sournois engrenage dépressif où tout mouvement pour se sortir de la nasse aboutit à resserrer la corde autour de son propre cou. Dans Ariane (Don Quichotte 2017, disponible en Points), on avait déjà admiré le talent de Myriam Leroy pour capter la rhétorique propre à chaque milieu. Autour de la prose sans filtre des réseaux, elle construit un roman ultra-contemporain glaçant, même si l'ironie distanciée avec laquelle la narratrice raconte sa tournée des thérapeutes et des experts, arrachent au lecteur un sourire jaune. Et jusqu'au bout, la romancière joue avec les renversements de perspectives pour entretenir un oppressant climat de suspicion.