L'inconnu de Fribourg. « Est-ce bien utile tout cela ? » La question lui est posée par un spécialiste de la diplomatie ottomane. Patrick Minder est venu le rencontrer à Istanbul pour faire avancer son enquête. Elle avait commencé par hasard avec une curieuse épitaphe sur une tombe d'un cimetière de Fribourg, avec une photo, un nom, « Ziya Bey Koubanine », une fonction, « ancien contrôleur financier de l'Empire ottoman ». Il n'en faut pas plus pour stimuler la curiosité de l'historien suisse. Pour comprendre ce que pouvait bien faire ce fonctionnaire en territoire helvétique, il se rend en Turquie. Et pour donner un peu de piquant à l'affaire, il fait le voyage en trois jours à moto en traversant les Balkans. Voilà pour l'ambiance. Elle illustre la tendance des historiens qui se mettent en scène. Parfois, c'est raté. Parfois, cela fonctionne à merveille, comme ici, dans ce récit à la Borges où l'on traverse des pays, des bibliothèques et des librairies.
Patrick Minder apprend que l'homme qu'il traque en vue d'un article s'appelle Sheikh Hanna Bisharat. Il est issu d'une famille arabe catholique. La photo a été prise en 1928 dans un studio à Jérusalem, un an avant son départ pour Fribourg. « Ziya Bey Koubanine n'aura été qu'un nom catapulté de nulle part, un leurre menant à de fausses pistes, un patronyme aussi douteux que mystérieux, impossible à accoler à un quelconque individu dont la trace, si elle avait un jour existé, a définitivement disparu. »
On jongle en effet avec les dates, les faits, les suppositions, les fausses pistes, les rebondissements. Cette histoire, d'abord locale, prend alors une dimension bien plus large. Elle rend hommage au génie humain « qui dépasse les inventaires et le numérique, irremplaçable par la qualité des liaisons qu'il est capable de réaliser avec une efficacité qu'aucune machine ne surpasse ». Elle montre aussi - illustrations à l'appui - une investigation avec des moyens modestes, sans assistants, sans financement. Elle exalte la liberté de chercher à son rythme, portée par une indéfectible obstination. « Je veux rencontrer Ziya en historien, me sentir proche de lui, comme un ami en qui il aurait toute confiance. Dans cette enquête difficile, je préfère largement assumer toute la subjectivité de mes choix. La vie de Koubanine occupe toutes mes pensées. Je décide de transformer cette proximité avec mon sujet en force inépuisable. »
Mais revenons à la question stambouliote. « Est-ce bien utile tout cela ? » Le lecteur peut aussi se la poser. La réponse est oui, car cette histoire est une aventure, avec ses incertitudes, ses pièges et ses découvertes. On laisse aux lecteurs la primeur de la révélation, sinon l'ouvrage n'aurait aucun intérêt. Patrick Minder est formateur d'enseignants en histoire. Il sait donc l'importance du chemin. « Partir d'un grain de sable, ce n'est pas partir de rien. » Il montre ainsi comment l'histoire se construit pour faire surgir une existence d'un passé que l'on pensait définitivement enfoui. Car, comme il l'écrit, « en histoire, les morts ne reposent jamais en paix ».
À la recherche de Ziya Bey
Bleu autour
Tirage: 800 ex.
Prix: 27 € ; 200 p.
ISBN: 9782358482561