En 2017, le Basic épinglait la conception des ouvrages de littérature générale. En 2018, WWF publiait son étude « Les livres de la jungle : l'édition jeunesse abîme-t-elle les forêts ? ». L'impact environnemental de l'industrie du livre est-il toujours si mauvais que ça ?
Il existe plusieurs manières d'envisager un problème : soit on stigmatise les défauts et on se positionne en donneur de leçons sans connaître la réalité des métiers du livre et de l'édition, soit on tente d'intégrer la complexité du sujet. Le livre n'est pas un objet comme les autres : c'est un bien culturel. Il n'existe pas un livre mais des livres ; il n'existe pas un marché mais des marchés ! Le livre représente 6 à 7 % de la consommation de papier en France. 95 % du papier est certifié avec des labels soutenus par des ONG. 13 % du flux aller part au pilon et est recyclé. Depuis la loi sur le prix unique du livre de 1981, le livre s'inscrit dans une économie circulaire : quel autre secteur industriel peut se prévaloir du traitement par la filière de tous ses invendus, comme le font les éditeurs ?
Où en est-on par rapport à d'autres secteurs ?
Nous le voyons avec la COP26 : les bons élèves sont encore des élèves en devenir. Les éditeurs ne sont pas de mauvais élèves ! Nous, et tout particulièrement les fabricants, effectuons un métier d'artisan industriel, avec une économie de moyens limitée, et nous sommes attentifs à la bonne maîtrise de notre impact environnemental. L'environnement mêle la science, l'organisation, la production, le transport, le comportement, l'économie, la culture et la réglementation. Tout est mouvant, disruptif et éminemment complexe. Maîtriser ces sujets devient un enjeu pour donner des axes de développement pour demain.
Quelles sont les principales évolutions en faveur de l'écologie mises en place ces dernières années ?
Nous avons la certification des papiers, ce qui est un axe essentiel. Par ailleurs, si le nombre d'ouvrages augmente, le pilon, lui, n'augmente pas pour autant grâce à un vrai travail d'ajustement des tirages en fonction des besoins. Ces trois dernières années, nous avons même constaté une baisse du taux de pilon. Dans le cadre de l'association Clic.EDIt - Coordination langage informatique commun/Édition de livres initiée avec des imprimeurs, papetiers, compositeurs et éditeurs - nous avons créé un langage informatique destiné à simplifier les échanges administratifs et fluidifier l'approvisionnement. Avec la plateforme Prisme, nous avons œuvré à renforcer l'efficacité des livraisons entre la distribution et la librairie en mutualisant les commandes et en massifiant le transport, sur les flux aller et retour.
Quels seraient les principaux chantiers à lancer pour réduire l'impact environnemental du livre ?
La mise en place d'un système comme le book tracking, permettrait de suivre les ventes de livres en temps réel. C'est l'un des chantiers prioritaires à lancer, dont la première brique repose sur Clic.EDIt. Nous devons également davantage mesurer l'impact environnemental de la production de nos livres : il est important de pouvoir évaluer l'empreinte carbone d'un livre sur des indicateurs homogènes d'un éditeur à l'autre.
Dans la Charte environnementale de l'édition de livres publiée par le SNE en octobre, vous évoquez justement l'hypothèse de la mise en place d'un tel indicateur. Quelle forme pourrait-il prendre ?
Grâce à Clic.EDIt, nous avons d'ores et déjà la possibilité de transférer des données standardisées et structurées sur les livres tirage après tirage et de définir le trajet des matières premières. Nous pouvons également avoir accès aux données inscrites dans chaque Paper Profile [un outil pour évaluer l'empreinte carbone d'un papier, N.D.L.R.] et modéliser le bilan carbone de chaque imprimeur. En massifiant la collecte de données, il sera demain possible de construire un bilan carbone précis et cohérent de manière automatique pour l'ensemble de la filière.
Le pilon correspond-il à du gaspillage ?
Dire que le pilon est du gâchis est vrai. Il représente par ailleurs un coût pour l'éditeur. Mais nous sommes organisés afin de pouvoir recycler 100 % des livres envoyés au pilon. Pour autant, malgré tous nos efforts, le zéro pilon est impossible. Pour permettre aux libraires, sur tout le territoire, d'avoir accès à notre production éditoriale, pour permettre à de nouveaux auteurs d'avoir la chance d'être découverts, nous devons imprimer beaucoup de livres, dont il est impossible d'anticiper le succès. Ces livres qui, hélas, ne rencontrent pas le succès espéré, doivent être pilonnés. Cela ne nous empêche évidemment pas d'être dans une démarche écoresponsable et d'ajuster nos tirages au plus près des besoins, pour limiter au maximum le pilon.
Certaines ONG souhaitent que les éditeurs apposent des consignes de tri ou des indications sur sa fin de vie comme « Ne me jetez pas, offrez-moi à un proche ou recyclez-moi ». Qu'en pensez-vous ?
Tous les citoyens le savent bien : le papier est recyclable. Si un lecteur voulait jeter un livre, il saurait que son ouvrage papier devrait donc être jeté dans la poubelle jaune. Doit-on conseiller à un lecteur de jeter son livre ? Je ne le pense pas. Le livre est en soi un bien durable, alors pourquoi le jeter ? Nous devons au contraire lui dire de lui donner une, deux ou dix autres chances de rencontrer d'autres lecteurs !
La compensation carbone est-elle, selon vous, une bonne idée ?
C'est du green washing. Il suffit de lire les publications de l'association et laboratoire d'idées The Shift Project, qui vise à atténuer le changement climatique, pour s'en rendre compte. Le sujet est de diminuer sa consommation de carbone. On ne doit pas la compenser mais bien la diminuer !
Le SLF et l'ABF ont aussi lancé une commission dédiée à l'environnement. Serait-il envisageable de mettre en place une commission transversale pour inclure l'ensemble de la chaîne ?
Nous ne travaillons pas chacun de notre côté. Nous avons notamment déjà entamé des discussions avec le SLF. Mais si nous regroupons tout le monde dans une seule et même commission, je ne suis pas sûr que nous soyons aussi agiles et efficaces. En revanche, sur des sujets précis, le travail en commun est bien sûr indispensable.
Quel serait, selon vous, l'objectif raisonnable à atteindre à l'horizon 2030 ?
Nous pourrions avoir maîtrisé au mieux notre impact environnemental et diminué notre bilan carbone de manière importante. Nous pourrions être sortis du plastique, avoir diminué le pilon et décarboné notre transport. Nous souhaitons relocaliser l'impression mais malheureusement l'industrie française n'est plus attractive. Il faudrait réindustrialiser la France afin que le livre soit plus largement façonné et imprimé dans l'Hexagone. Il y a encore des améliorations à faire. Nous y travaillons. Propos recueillis par Cécilia Lacour