11 janvier > roman Etats-Unis > Ta-Nehisi Coates

"J’étais né sous une étoile pourrave", constate Ta-Nehisi Coates dans son roman autobiographique. Il retrace une enfance emblématique. Elle débute en 1975 à Baltimore, dans un quartier sensible où mieux vaut être membre d’un gang qu’un "rêveur, un gosse qui aimait les gâteaux et les comics". La violence fait partie de son quotidien, mais sa famille recomposée aspire à offrir un autre destin à ses enfants. Le père constitue un pilier atypique : vétéran du Vietnam, il était le seul Noir de son unité. Engagé, il dirige une section locale des Black Panthers, mais il se sent en disharmonie avec leur idéologie. Sa démission le transforme en traître. Il n’en a cure. Désormais cet intellectuel fauché se consacre à l’amour de la littérature. Pour sa progéniture, la Connaissance doit rimer avec renaissance. "Mon père élevait des soldats tout terrain. Il prêchait la lucidité, la discipline et la confiance en soi." Mais cette belle philosophie a du mal à s’appliquer à ses rejetons rejetés, qui doivent œuvrer pour leur survie dans la jungle ambiante.

Eriger le savoir en art constitue un défi en cette ère où les Noirs ont toujours un statut à part. Officiellement, la ségrégation n’existe plus, mais elle continue à s’insinuer dans la société américaine. "C’était le gouffre qui engloutissait les jeunes Noirs livrés à eux-mêmes. Nous sommes tout en bas de l’échelle, tout ce qui nous sépare du zoo, c’est le respect." Ta-Nehisi Coates en dressait déjà un sombre tableau dans Une colère noire, qui en a fait un auteur notable. Tout en lui valant le National Book Award, cette lettre à son fils a été traduite dans une quinzaine de pays. C’est surtout le sien qu’il met à nouveau en lumière dans ce roman. Il y dresse le portrait d’un garçon voyant pousser les germes de la rébellion. Martin Luther King était un modèle, un phare, mais il incarne aussi les désillusions. Comment trouver sa place dans cette Amérique qui va si mal ? Coates se sert des mots comme de gants de boxe. Il encaisse des coups tout en restant debout. "L’importance" étant "de vivre là où se déroulait le combat, de ne jamais partir, jamais renoncer." Loin de diaboliser les Blancs, le protagoniste critique aussi la dérive de sa communauté. Si une part de la jeunesse sombre dans la cocaïne et la vénération des armes à feu, l’autre se tourne vers l’instruction à Howard, une université destinée aux Noirs. Quant à Ta-Nehisi, il s’égare tout en s’éveillant aux plaies de son histoire. Bob Marley ne disait-il pas "Emancipe-toi de l’esclavage mental, personne d’autre que toi ne peut libérer ton esprit" ? Tant sa famille que le rap lui ouvrent les portes de l’écriture. Chacun paraît "déterminé à faire de [lui] un homme". C’est ce cheminement qu’on suit ici. "Tous ceux qui vivent vraiment renaissent au moins une fois." Un roman initiatique indispensable pour saisir l’Amérique d’aujourd’hui. Kerenn Elkaïm

Les dernières
actualités