La consolation de la philosophie de Boèce est un chef-d'œuvre de la littérature de la consolation. Des mots d'écrivains contre les maux de l'existence - la maladie, le deuil, la déchéance, les affres de la mort. Les stoïciens sont les champions du détachement philosophique, les croyants d'une foi en l'au-delà. Par la raison ou la religion, cessons de nous rassurer. Avec Marx, foin de la transcendance, l'opium du peuple tout ça, agissons dans le concret de nos vies ; avec Nietzsche, Dieu R.I.P., tu peux le faire, deviens ce que tu es ! Mais les lendemains n'ont pas chanté, et le
surhomme fait un burn-out.
Que peuvent encore les poètes ? Dans Houellebecq, l'art de la consolation (Stock), Agathe Novak-Lechevalier répond : beaucoup. Elle signe un essai sur le paradoxal antidote au désespoir que représente l'œuvre de l'auteur « déprimiste », lauréat du Goncourt 2010. De la vertu cathartique des larmes : dépeindre la noirceur, la lire dépeinte rend un peu moins seuls, et l'auteur et son lecteur. La spécialiste du romancier contemporain a dirigé le « Cahier », aux éditions de l'Herne, qui lui fut consacré et a préfacé son essai En présence de Schopenhaueur (même éditeur, 2017). Ici, elle déploie sa théorie d'un Houellebecq consolateur, qui soignerait le mal par le mal. Une anti-méthode Coué - quand on sait que c'est fichu, on est sans doute moins déçu : « N'ayez pas peur. Le pire est déjà passé. Bien sûr, la vie vous déchirera encore ; de votre côté, vous n'avez plus tellement à faire avec elle. Souvenez-vous-en : fondamentalement, vous êtes déjà mort. »
Fiction, poésie, essais... Agathe Novak-Lechevalier retrace la généalogie intellectuelle de l'écrivain, de son premier essai, sur l'auteur de SF américain Lovecraft, jusqu'à son dernier roman, Soumission, où la France devient islamiste, paru le même jour que les attentats de Charlie Hebdo. Elle bat en brèche les avanies qui ont plu sur l'auteur d'Extension du domaine de la lutte (Maurice Nadeau, 1994) dès son entrée sur la scène littéraire. Si cette première fiction, « roman de la dépression » sur fond de libéralisme économique et de darwinisme sexuel (même chose : la compétition féroce entre les individus), est saluée par la critique, la suivante, Les particules élémentaires (Flammarion, 1998), crée la polémique avec l'exclusion de Houellebecq du comité de rédaction de la revue Perpendiculaire l'accusant de représenter à travers ses personnages « la droite la plus réactionnaire ».
Alors Michel Houellebecq, réac anti-soixante-huitard, de droite, ou viscéral anticapitaliste, de gauche ? Agathe Novak-Lechevalier cite l'économiste Bernard Maris qui voit en lui un contempteur du consumérisme. Misogyne (il traite les féministes d'« aimables connes ») ? Islamophobe (pour l'anticlérical, l'islam est de toutes les religions « la plus con ») ? La maître de conférences, à Paris-Nanterre, montre que la réalité (texte à l'appui) est parfois contradictoire, et Michel Houellebecq non réductible aux étiquettes. Qu'on aime ou pas cet écrivain, « cynique » et « sans style » selon ses pourfendeurs, l'essai est stimulant et révèle certains aspects moins évidents chez lui : la nostalgie de la bonté et, en creux de cette désespérante réalité, un désir d'envol.
Houellebecq, l’art de la consolation
Stock
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 20 euros ; 306 p.
ISBN: 9782234086111