Entretien

P. D. James : "Je voulais résoudre les mystères de Jane Austen"

P. D. James nous a reçus à Londres le 18 avril, dernier jour de la Book Fair. Dans le salon de sa confortable maison de Holland Park Avenue, quartier résidentiel non loin de Kensington. Ambiance feutrée, cosy, so british. Accueil tout à fait charmant, avec ses excuses pour ne pouvoir nous répondre en français. "J'ai étudié votre langue il y a si longtemps, je manque de pratique", dit-elle. Quoiqu'elle ait été souffrante il y a peu, elle se montre, comme à son habitude, vive, enjouée, drôle, avec une mémoire remarquable. - Photo A. BUCKERFIELD DE LA ROCHE

P. D. James : "Je voulais résoudre les mystères de Jane Austen"

Très attendu, numéro un en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, le nouveau roman de P. D. James paraît en France le 30 mai, chez Fayard, comme toute son oeuvre en français. C'est une suite "criminelle" d'Orgueil et préjugés.

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Créé le 08.12.2014 à 20h02 ,
Mis à jour le 09.02.2015 à 17h05

C'est un autre jubilé, celui de "la reine du crime", ainsi que l'on surnomme P. D. James. En cinquante ans d'une carrière exceptionnelle, elle a publié vingt livres : romans policiers des cycles Adam Dalgliesh et Cordelia Gray, mais aussi thrillers psychologiques, science-fiction, polars historiques, et même un "fragment d'autobiographie" : Il serait temps d'être sérieuse. A 92 ans, P. D. James est un auteur comblé, célèbre dans le monde entier, riche, et même noble : elle a été faite baronnesse James of Holland Park par la reine en 1991, et siège à la Chambre des lords. Son dernier roman, Death comes to Pemberley, donne une suite au fameux Orgueil et préjugés de Jane Austen, paru en 1813. Deux siècles après, P. D. James a estimé nécessaire d'élucider les "mystères" laissés pendants par sa devancière. Avec franchise et humour, elle s'en explique, revient sur son parcours, et tord le cou à quelques idées reçues, dans l'entretien exclusif qu'elle a accordé à Livres Hebdo.

Livres Hebdo - Milady, comment vous est venue l'idée de La mort s'invite à Pemberley ?

P. D. James - Je l'avais en tête depuis longtemps. Après The private patient, je voulais faire quelque chose de différent et de plus complexe. Mêler Jane Austen et le roman policier. Ce qui m'intéressait, ce sont les problèmes que pose le scénario original, cas unique dans l'oeuvre d'Austen. Par exemple : pourquoi Darcy, avant de se décider à l'épouser, a-t-il été aussi infect avec Elizabeth ? J'avais envie de résoudre les mystères de Jane Austen.

Etait-ce important pour vous de préserver l'atmosphère "romantique" d'Orgueil et préjugés ?

Dans une large mesure, oui. Les livres de Jane Austen sont des romans d'amour bâtis suivant le même schéma romantique : une jeune fille, en l'occurrence ici Georgiana, la soeur de Darcy, se bat contre les conventions pour épouser l'homme de sa vie ! C'est un monde en marge, où on ne connaît pas la violence. Pemberley incarne l'ordre, l'harmonie, l'extrême civilisation tandis que l'extérieur, symbolisé par la forêt, représente la barbarie, la guerre, le crime...

Comment votre entreprise a-t-elle été accueillie ? Sacrilège ?

Pour tout vous avouer, je m'attendais à des critiques négatives. Et en fait, aucune. Il faut dire qu'Orgueil et préjugés - je m'en suis aperçue durant nos recherches sur Internet -, a déjà fait l'objet de plusieurs suites, avec des loups-garous, ou un Darcy en proie à toutes sortes de déviations sexuelles ! Mon livre, paru en anglais fin 2011, est numéro un sur les listes de best-sellers en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.

Avez-vous dû demander des autorisations à d'éventuels héritiers ? Le droit moral est-il aussi strict en Grande-Bretagne qu'en France ?

Non. Cela n'a posé aucun problème étant donné que Jane Austen est morte depuis près de deux siècles.

Combien de temps avez-vous mis pour écrire La mort s'invite à Pemberley ?

A peu près un an. C'est mon livre le plus rapide. Pour un roman policier, je mets d'ordinaire deux ou trois ans. Mais mon éditeur depuis toujours, Faber and Faber, était très désireux de le sortir avant les fêtes de Noël !

Vous avez commencé votre carrière assez tard, en 1962, avec Cover her face, première enquête d'Adam Dalgliesh, l'un de vos deux héros emblématiques. Vous aviez 42 ans. Comment avez-vous débuté ?

Je n'ai jamais douté que je serais un jour écrivain. Dès mon enfance, j'aimais raconter des histoires. Mais quand j'avais 19 ans - je vivais à Londres, j'étais déjà mariée -, la guerre est survenue. Pas question de penser à écrire ni à être publiée. Ensuite, mon mari, médecin dans l'armée, est revenu du combat, psychologiquement très fragile... Sa pension ne suffisait pas : j'ai dû trouver un travail fixe pour nourrir nos deux enfants. C'est ainsi que je suis entrée au ministère de la Santé publique. Ensuite, je suis passée au ministère de l'Intérieur, au service de la médecine légale. A un moment, je me suis dit : "Si tu ne trouves pas le temps d'écrire, tu ne deviendras jamais écrivain !" Je me suis donc lancée d'abord dans le roman policier, parce que je savais que j'en étais capable. Je concevais cela comme un apprentissage. Et puis, je lui ai consacré l'essentiel de ma carrière. Il n'était pas question de gagner de l'argent avec ça. L'argent est venu après ! Je voulais seulement devenir un bon et sérieux écrivain.

On lit, dans vos biographies, que vous auriez choisi de signer vos livres, dès le début, de vos seules initiales, afin de faire croire que l'auteur était un homme ?

Non, non, non ! (En français.) C'est faux. Dès que Cover her face est paru, il y a eu des photos de moi. Tout le monde savait que j'étais une femme. J'ai choisi de signer mes livres de mon nom, James, et non de celui de mon mari. Quant aux initiales, P. D., c'est plus pratique que Phyllis Dorothy, non ? Et puis, c'était un peu mystérieux, ça m'amusait.

Pourquoi, dans le monde anglo-saxon, les plus grands auteurs de romans policiers sont-ils souvent des femmes ?

C'est vrai surtout pour les detective novels, moins dans les autres genres. Sans doute parce que les femmes ont bien plus le sens du détail que les hommes.

Outre votre succès, vous avez été anoblie par la reine. Sa Majesté est-elle amatrice de romans policiers ?

Elle, je l'ignore, mais sa mère, Queen Mum, l'était ! En fait, cela n'a jamais été dit explicitement, mais j'ai été anoblie plutôt pour services rendus à l'Etat, dans mes fonctions au ministère, puis comme magistrat de proximité, ici même, à Holland Park. Je suis baronnesse, et membre de la Chambre des lords, mais en tant que "lifepair", pair à vie. C'est un peu compliqué à comprendre pour les Français. Mon titre, personnel et non héréditaire, disparaîtra après ma mort.

Avez-vous siégé souvent ? Dans les rangs travaillistes ou conservateurs ?

Oui, je suis assez assidue à la Chambre des lords, qui remplit un peu le rôle de votre Sénat. Bien que n'étant membre d'aucun parti, je suis philosophiquement conservatrice, et je soutiens David Cameron.

Avez-vous déjà un autre livre en projet, ou en chantier ?

En ce moment, ma vie est bien remplie, entre ma famille et la promotion de Death comes to Pemberley, qui continue. Mais j'y pense, bien sûr, et j'en ai envie. Il n'est rien de pire, pour un écrivain, que de ne pas écrire. J'aimerais bien écrire un nouveau roman policier, les fans de Dalgliesh me le réclament. Mais étant donné mon âge, je n'ose me lancer dans une entreprise trop longue.

La mort s?invite à Pemberley, de P. D. James, traduit de l?anglais par Odile Demange, Fayard, 308 p., 22 euros. ISBN : 978-2-213-66883-3. En librairie le 30 mai.

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