Le nouveau roman de Franck Maubert, Les uns contre les autres, peut se lire comme une manière de suite au précédent, Visible la nuit (Fayard, 2014), dont la figure centrale était le peintre Robert Malaval. Le décor n’a pas changé : nous sommes toujours en plein cœur de Paris. L’époque, elle, n’est plus la même. Après les années 1970, nous voici plongés dans la deuxième moitié des années 1980. Moby, le narrateur, ressemble à s’y méprendre au Momo de Visible la nuit.
Le double littéraire de l’auteur du Dernier modèle (Mille et une nuits, 2012, prix Renaudot essai, repris chez Pluriel) a 30 ans. Le journaliste a travaillé pour LeQuotidien, où il avait en charge une rubrique people, qui vient de disparaître. Il sent bien que l’avenir est ailleurs, songe à mettre un pied à la télévision. C’est un oiseau de nuit. Il roule en Saab 900 cabriolet, vient de s’installer avenue Montaigne dans un décor digne des Mille et une nuits. Il a pour voisin Rodolphe, le patron d’un établissement incontournable, les Lumières.
Outre ledit Rodolphe, qui apprécie la coke et les jolies filles pas farouches, Moby fréquente Roda. Le parolier à succès, anar et libertaire, possède un art bien à lui de "donner le vertige aux mots". N’oublions pas de citer Christophe Mistral, l’enfant chéri de la mode qui prépare son premier défilé, et sa femme Albertine, fantasque et "tempéramentale". Pour se refaire, Moby a un projet d’émission avec Ferdyck. Le présentateur vêtu de noir qui ne porte jamais de chaussettes et ponctue ses phrases de "ouais"… Franck Maubert excelle à faire revivre une époque où l’on écoutait en boucle Terence Trent d’Arby.
C’était hier. Enfin avant-hier. Au siècle dernier. Quand Paris était une fête perpétuelle où l’on passait du champagne au gin tonic. Rappelez-vous, Vanessa Paradis cassait la baraque avec "Joe le taxi", Thierry Ardisson secouait le petit écran avec "Bains de minuit" et Christian Lacroix colorait les dressings. Franck "Moby", se trouvait en plein cœur de tout cela. Il évoque aujourd’hui ce temps où il lui arrivait de partir à Nîmes en pleine nuit sur un coup de tête, de se faire enfermer chez un chanteur un peu bizarre qui cherchait à éditer ses carnets de voyage, ou de faire l’amour avec une créature qui avait posé pour le photographe Jean-François Jonvelle.
Les uns contre les autres n’est pas un Bottin mondain. Plutôt la captation subtile d’un monde et de ses protagonistes. Peints par Franck Maubert avec un trait fin, un sens du détail et de l’atmosphère qui font mouche à chaque page. Alexandre Fillon
