Ecrire une histoire, c’est comme faire du feu", explique Olivier de Solminihac lors de ses rencontres en milieu scolaire. Trois choses sont essentielles : un combustible lent, un combustible rapide, une flamme. Le bois, c’est une question à laquelle on n’a pas forcément de réponse ; le papier et les brindilles, ce sont les personnages, les lieux, les dialogues ; la flamme, c’est l’ébahissement, la merveille "au sens platonicien", qui vous éblouit de son aveuglante vérité.
L’ellipse et l’indicible
Pour le nouveau livre de Solminihac, L’homme au fond, l’étincelle fut un tableau de Gauguin, La vision du sermon - des Bretonnes en coiffe au premier plan, et dans le fond la lutte de Jacob avec l’ange. "L’homme au fond" est, dans son troisième roman, un homme qui fume à la fenêtre et qui regarde "le spectacle désolé du monde, spectacle du passé, époque après époque qui se surimprime à celui du présent". Le spectateur est un muet contrepoint du narrateur - "le "nous" indécis et évolutif" - qui raconte son enfance "solaire, chaude, invincible et naïve", ses frères, "Peup" et "Meum" les parents, un milieu de cathos de gauche, une petite sœur apparue et aussitôt partie une nuit de Noël, le deuil qui ricoche et la vie qui file : "Vingt ans passent", les seuls mots imprimés p. 57 flottent dans le blanc de la page.
Une sœur mort-née, le suicide d’un père étaient déjà évoqués dans Descendre dans le ciel (2004). Tout cela est vrai, mais pas tant du fait de l’adéquation des événements à leur récit. Rien n’est jamais linéaire chez Solminihac, qui est aussi poète et auteur pour la jeunesse (une douzaine de livres à L’Ecole des loisirs).
La vérité, c’est l’ellipse et l’indicible, le vide que peuplent les images et les sensations, l’amour qui demeure telle une aura. L’auteur de Nous n’avons pas d’endroit où vivre, même lorsqu’il écrit de l’(auto)fiction, reste poète. Sur la brutale relation des faits, la vibratile sensibilité de l’être reprend ses droits. Les mots, c’est la vie qui se prolonge, l’organique qui se fait verbe. Les mots, c’est sans doute ce qui lui a permis de se sauver d’un abîme sans fond.
Un temps tenté par le journalisme après Sciences po, Olivier de Solminihac se dirige vers l’édition où il travaille aujourd’hui comme préparateur de copie et correcteur. Deux semaines avant de commencer un stage à L’Olivier, il apprend le suicide de son père et prévient la maison d’édition que, malgré cette tragédie personnelle, il effectuera sa mission.
Sean J. Rose
Olivier de Solminihac
L’homme au fond
L’Olivier
Prix : 15 euros, 144 p.
Sortie : 5 février
ISBN : 978-2-8236-0378-1