Dans les dernières années de sa vie, Goethe acheta une maison en ruines à côté de la sienne rien que pour ne pas avoir à subir le vacarme occasionné par son éventuelle restauration. L'anecdote est citée par Schopenhauer dans Le monde comme volonté et représentation afin d'étayer sa théorie sur l'ouïe ultrasensible des gens d'esprit. Il va sans dire, toujours selon le philosophe allemand, que plus une société est avancée, moins elle est bruyante. Aurait-on sombré dans la barbarie pour que notre époque dût souffrir tant de bruit ! Comme à contre-courant de la rumeur du progrès, Jean-Michel Delacomptée, dont on connaît les élégants portraits littéraires, entre récit romanesque et érudition biographique, signe un Petit éloge des amoureux du silence : "Le silence, pour les gens qui le chérissent, paraît toujours neuf. Il avance en robe de mariée avec une couronne de fleurs d'oranger sur la tête." Et plus loin de préciser : "Le silence n'est pas le vide effrayant d'une geôle où le prisonnier à l'isolement se morfond. [...] Le silence n'abolit rien. Il crée les conditions de la vie qui jouit d'elle-même. Il tisse, relie. Il régénère. Par lui, on renaît." Mais à travers la louange, c'est en vérité la diatribe contre les tapageurs de tout poil qui se fait entendre. Mobylette qui réveille tout le quartier, téléviseur du voisin qui hurle ses programmes, tintamarre des klaxons, flonflon des fêtes foraines ou ramdam des crémaillères, longue est la liste des exemples illustrant "ce précipice sonore qui nous engloutit". L'écrivain raconte un épisode, de triste mémoire, où son père souffrant qui avait trop chaud a dû se résigner à ne pas ouvrir la fenêtre à cause de la musique trop forte de l'appartement d'en face... Mais la philippique est enfin et surtout une critique amère de notre "hyper-démocratie où chacun s'autorise de soi-même, à l'instar des blogs [...], cette logorrhée aux mille verrues, aux mille vertus, le pire avec le meilleur", la complainte d'un mélancolique devant "ce bruit de fond [qui] tente de combler la vacuité des attentes".