Transportant son carnet de croquis de Shenzhen à Pyong Yang (L'Association 2000 et 2003) et de Rangoun (Chroniques birmanes, Delcourt 2007, voir LH 704, du 5.10.2007, p. 28) à Jérusalem, Guy Delisle construit, en même temps qu'une oeuvre, une nouvelle cosmogonie terrestre. Par le hasard des circonstances, dont il a su faire un atout, le dessinateur né à Québec affirme en effet une technique de reportage originale : le reportage en poussette. Suivant d'un pays à l'autre sa compagne qui collabore à Médecins sans frontières, c'est généralement lui qui prend en charge leurs enfants, une occupation qui lui permet de poser sur son environnement, depuis le ras du sol, un regard frais, presque ingénu, aussi réjouissant qu'efficace pour faire surgir les singularités d'une société.
En Birmanie, Guy Delisle arpentait les allées de la dictature derrière la poussette de Louis. Celui-ci a grandi, et c'est désormais aux manettes de celle d'Alice qu'il plonge dans le chaudron hiérosolymitain, découvrant un territoire aussi morcelé que ses trottoirs sont défoncés. Comme dans ses Chroniques birmanes, le dessinateur se lance sans plan préconçu. On suit simplement les différentes phases de son exploration de Jérusalem. C'est l'accumulation d'anecdotes pittoresques, cocasses, dramatiques ou édifiantes qui, par imprégnations successives, finit par faire impression et enquête, lui permettant de livrer une vision d'ensemble, multidimensionnelle de la cité. D'autant plus que son dessin en bichromie a gagné en précision et en variété. Il s'ouvre même cette fois à des touches de couleur qui soulignent les bruits : bombes, rafales, cris.
Guy Delisle subit la partition du réseau de transport, avec ses bus qui ne desservent que les quartiers juifs ou que les quartiers arabes, et les contrôles multiples. Il relate les expériences d'expatriés espagnols ou danois, assiste à des échanges de tirs près du mur qui isole les territoires palestiniens, pousse la balançoire d'Alice entre mères musulmanes, juives laïques et orthodoxes... Il gagne aussi Tel-Aviv dès que possible : l'atmosphère y est tellement moins tendue que celle de la Ville sainte.