"Y a le feu sur terre." Constat en forme d’appel de détresse, la première phrase de La nuit du second tour d’Eric Pessan donne la mesure de la catastrophe qu’imagine ce roman de politique-fiction sentimental au scénario qui pourrait être prophétique. On est au soir du deuxième tour d’une élection présidentielle qui a porté au pouvoir un parti de la droite extrême, jamais nommé. "Il y en a ce soir qui font la fête. Statistiquement, ce sont les plus nombreux mais ils n’ont aucune place dans ce livre", est-on prévenu. Car le roman s’attache aux perdants hébétés dans les heures qui suivent l’annonce des résultats. Dans un montage parallèle, un homme et une femme, autrefois en couple, vivent à des kilomètres de distance cette nuit de défaite où "désastre" politique et débandade intime entrent en résonance. David est dans les rues de Paris, gagnées par des mouvements désordonnés d’émeutes. Mina au milieu de l’Atlantique, en route pour les Antilles à bord d’un cargo porte-conteneurs. En mer où le bateau essuie une tempête, comme sur la terre ferme, le sol tangue, vertiges et mal de mer menacent l’équilibre. "La nuit est au charivari, au désordre, au dérèglement." Alors que David découvre sa voiture carbonisée à la sortie du cinéma où il s’est réfugié pour échapper à la réalité, oublier sa solitude et les impasses de sa vie, il tente de rentrer chez lui à pied et la traversée est agitée. Tandis que sur le cargo, ballottée par le roulis, Mina qui cherchait la déconnexion est rattrapée par ce qu’elle a voulu fuir. "Si seulement cette nuit était un début et pas une fin", se prennent-ils chacun à espérer. Elle sera dans tous les cas une nuit de mue. V. R.