Li Yiyun, ou plutôt Yiyun Li, puisque, devenue américaine, en anglais c’est le nom personnel qui précède le patronyme, à l’inverse de l’ordre chinois. Yiyun Li, née en 1972, a grandi à Pékin où elle suit un cursus scientifique avant de compléter ses études en immunologie aux Etats-Unis. Yiyun Li devient non seulement américaine, mais elle devient écrivaine américaine. Elle quitte les laboratoires pour d’autres bouillons de culture, où se croisent ses auteurs de prédilection : Tourgueniev, Zweig, Sénèque, Elizabeth Bowen ou Katherine Mansfield dont le titre de ce nouvel ouvrage, Cher ami, de ma vie je vous écris dans votre vie, est une citation. Mais la conversion n’est pas sans risque, car si toute création littéraire véritable est un arrachement à sa zone de confort, ici forger son style a signifié pour Yiyun Li abandonner l’idiome maternel et expérimenter une forme d’aliénation. « Avec les années, mon cerveau a banni le chinois, confie-t-elle. Je rêve en anglais. Je parle toute seule en anglais. Et les souvenirs – non seulement ceux de l’Amérique, mais ceux de la Chine ; non seulement ceux qui survivent, mais ceux qui sont archivés avec la volonté de les oublier – sont triés en anglais. Devenir orpheline de ma langue natale me paraissait, me paraît encore, une décision cruciale. »
Dans ce récit à la fois d’une grande intimité et énoncé sur un ton distancié, l’auteure d’Un beau jour de printemps (Belfond, 2010) parle de cette dépression qui l’a amenée à être internée. La convalescence est l’occasion de consigner une réflexion sur l’écriture, en anglais. Elle s’y sent mal à l’aise avec le pronom « je » ; en chinois, langue non flexionnelle, on ne conjugue pas, et les personnes grammaticales sont souvent implicites, l’expression y est moins égotique. Dans la langue de Shakespeare, nulle manière de se cacher. Comment réduire cet hiatus entre soi et le monde : « Il y a un vide en moi. Toutes les choses du monde ne suffisent pas à étouffer la voix de ce vide qui dit : tu n’es rien. » La lecture est cure, libération du joug des pressions sociales. Yiyun Li nous raconte ces rencontres marquantes avec les livres, les écrivains morts, les contemporains qu’elle a approchés, comme le grand écrivain irlandais William Trevor. Auprès des grands, on se sent rien : « Et si ce vide était ce qui me permettait d’avancer?? »
Cher ami, de ma vie je vous écris dans votre vie
Belfond
Tirage: 2 700 ex.
Prix: 20 euros ; 224 p.
ISBN: 978-2-7144-7836-8