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Non, le livre n’est pas un marqueur rétrograde

Non, le livre n’est pas un marqueur rétrograde

Le mur de livres anciens auquel s’adosse le candidat Zemmour contribue incontestablement à la tonalité crépusculaire de son clip de campagne et donne du livre une image passéiste. Sans aller jusqu’à l’ajout de mangas et d’écrans numériques, une bibliothèque de livres de poche et d’éditions récentes eût certainement donné une meilleure image de notre environnement intellectuel et de ses enjeux...

Beaucoup de bibliothécaires et de bibliophiles s’en seraient passés. Le mur de livres anciens auquel s’adosse le candidat Zemmour contribue incontestablement à la tonalité crépusculaire de son clip de campagne et donne du livre une image passéiste. Au-delà des sombres reliures, c’est toute une symbolique rétrograde du savoir, de la mémoire et même de la vérité qui malheureusement s’en dégage. 
 
Un savoir qui tiendrait sa valeur d’être fixé pour toujours et non de se remettre en question dans la poursuite d’une conversation générale dont les livres sont de précieux relais. Une mémoire qui, loin d’être la réactualisation permanente d’un patrimoine, se réduirait au retour à quelques textes fondateurs. Une vérité qui se résumerait au soliloque d’un universalisme identitaire, sanctuarisé dans une vénérable bibliothèque de référence. 

Anachronisme
 
On est bien loin de la véritable vie des livres, faite de mobilité, d’interpellations réciproques, de cosmopolitisme. Sans aller jusqu’à l’ajout de mangas et d’écrans numériques, une bibliothèque de livres de poche et d’éditions récentes eût certainement donné une meilleure image de notre environnement intellectuel et de ses enjeux, mais elle aurait aussi contredit le message conservateur du candidat président. 
 
Autant ce mur de vieilles reliures était encore acceptable dans bien des photographies officielles vers la fin du 20ème siècle, autant elle est aujourd’hui anachronique. Déjà, à l’époque, elle révélait une incompréhension bien française des mutations de la société de la connaissance et de l’information, mais elle pouvait, malgré tout, se justifier par la référence à ce que cinq siècles d’émancipation par le livre avaient permis. 
 
A cette époque, le legs intellectuel, par-delà ses divergences idéologiques, était encore consensuel. Il proposait un cadre apparemment propice à l’assimilation de toutes les communautés. Aujourd’hui, bousculée par la résistance d’un réel compliqué, cette utopie demande, non pas, à être abolie, mais à se dépasser dans la recherche d’une intégration des altérités.

Pastiche et vision patrimoniale
 
Bien sûr, il ne faut pas prendre pour argent comptant un clip de campagne qui ne fait que pasticher un conservatisme de bon aloi. Venant d’une bête de télévision portée par un empire médiatique conquérant (cf. Le Monde du 16 novembre), le gage d’authenticité a de quoi laisser perplexe. D’ailleurs, l’auteur de livres à succès Zemmour n’est pas dupe de sa propre mise en scène. Comme tous les candidats, il a parfaitement compris l’utilité immédiate de certains ouvrages de circonstance, bien loin de la leçon de sagesse qu’il prétend afficher dans son dos. Il n’en reste pas moins que c’est la version patrimoniale du livre qui lui sert de faire valoir, comme souvent lorsqu’il s’agit de couper court à un débat en recourant à l’argument de la tradition et à son esthétique surannée.
 
Cette vision rétrograde du livre, de la culture et de la société en générale – même si elle rassure ceux que l’évolution du monde apeurent – ne correspond en rien à la réalité telle que nous la voyons s’exposer autant sur les étals des libraires qu’en sortant dans la rue. Il est vrai qu’une certaine conception du livre comme une valeur sûre qui s’opposerait au relativisme ambiant a la vie dure, mais la vitalité de l’édition, même en pleine pandémie, montre à quel point elle sait faire flèche de tout bois pour se jeter dans la mêlée des idées, de toutes les idées. En cela, le livre continue à être le trublion qu’il a toujours été, celui que l’historien Robert Darnton a si bien décrit, à l’opposé de l’image compassée qu’un clip de campagne souhaite en donner pour impressionner l’inculture populiste.
 
Certes, le livre n’est plus le seul vecteur de la vie intellectuelle. Tout un écosystème médiatique et numérique s’est développé autour de lui et grâce à lui pour en développer les potentialités. Mais, il sait y trouver une nouvelle jeunesse et garder toute son alacrité. Il reste décidément l’un des meilleurs antidotes à toutes les passions tristes. 
 
 
 
 

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