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Nitro est-il la « Madame Irma » du livre ?

Marc Hispa, directeur de l'AI Factory de Bearing Point. - Photo BearingPoint - Ludovic ROUX

Nitro est-il la « Madame Irma » du livre ?

Le cabinet de conseil Bearing Point développe Nitro, un logiciel de prédiction de tirages pour aider au pilotage de la diffusion de livres. Après le groupe Média-Participations, ses développeurs comptent bien convaincre toute l'édition française.

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Par Par Pierre Georges
Créé le 11.04.2022 à 12h00

Qu'elle paraît loin, l'époque des prédictions de tirage au doigt mouillé, des coups de bluff et des paris éditoriaux fous. À l''ère de l'IA, du machine learning et de la big data, ce sont désormais les robots qui prédisent le nombre d'invendus d'un livre. C'est en tout cas la promesse de Nitro, une solution technologique que met au point le cabinet de conseil européen Bearing Point, qui, après des premières armes dans la presse française, débarque à pas feutrés dans le monde de l'édition.

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Olivier Lenne, directeur média et culture de Bearing Point.- Photo DR

Petit historique. Il y a dix ans, le prestigieux cabinet issu de la firme KPMG, commence des travaux dans le secteur du livre français. Divers audits sont réalisés pour les grands groupes du pays, principalement Hachette, sur des sujets divers : numérique éducatif, modélisation des flux de tirages, comportements des usagers, retour de livres... « Nous avons voulu aller plus loin, proposer une expertise plus technique que le simple métier de conseil, et industrialiser nos prédictions », raconte Marc Hispa, à la tête d'Al Factory, l'entité de Bearing Point qui développe le logiciel. « Notre idée de base : il y a forcément des solutions pour imprimer moins de livres. La surproduction de livre est un scandale, au-delà de l'aspect purement économique c'est aussi un enjeu écologique et sociétal », ajoute Olivier Lenne, directeur média et culture de Bearing Point.

Une trentaine de titres de presse séduits

Une première version de Nitro est mise au point pour le secteur de la presse. Après six mois de campagne de persuasion, une première expérience est tentée avec le journal L'Équipe en 2019. Dès la première année, la solution permet au quotidien sportif de réduire de 2 millions le nombre d'exemplaires invendus. Autant d'exemplaires qui, chaque jour, ne sont pas imprimés, acheminés, rapatriés et détruits. Suivent Le Figaro, Le Point, Les Échos et une trentaine d'autres titres de presse nationale et régionale. En 2021, une nouvelle étape est franchie et Bearing Point signe avec le groupe Média-Participations. Le but : adapter Nitro aux équipes de Média Diffusion.

Pour le livre, trois types de données entrent en jeu. Les données transactionnelles d'abord : flux allers et retours, commandes, mises en place, réassorts, ventes... tout ce qui permet de déterminer l'intensité de l'invendu. Les métadonnées associées à un titre ensuite : éditeur, collection, série, succès de l'auteur ou non, prix littéraires, passage dans une émission de télévision, interviews, critiques élogieuses... Le troisième gisement de données venant des 12 000 points de ventes du réseau national. Le logiciel mixe toutes ces informations et prévoit des fourchettes de tirages. « Grâce à tout cela, Nitro sera capable de dire "attention, 8 000 exemplaires, c'est beaucoup ou pas assez pour tel ou tel ouvrage" », résume Marc Hispa.

Pas de surpromesse

« Pour les représentants, les premiers retours que nous avons sont unanimes : c'est le jour et la nuit dans la méthode de travail, cela permet de retirer énormément d'aberrations. Il y a une confiance retrouvée dans les chiffres proposés », poursuit-il. De l'avis de ses créateurs, l'intérêt de la solution, pour l'instant la seule sur le marché, sera plutôt à trouver chez les grands diffuseurs, moins chez les petits éditeurs dont ce n'est pas le cœur de métier de vendre et distribuer les livres. « Nous ne voulons pas jouer les magiciens, nous ne sommes pas dans la surpromesse effrénée de l'intelligence artificielle. C'est un outil d'aide à la décision plutôt que de remplacement de la décision humaine », assure aussi Olivier Lenne.

Contactée, la direction de Media Diffusion ne veut pas s'étendre sur le sujet et évoque un simple outil de « prise d'objectifs » et « d'aide à la décision » mis en place après un an de travaux. En interne, un responsable évoque une « énorme moulinette qui brasse des centaines de milliers de données ».

« L'outil est en phase de test, nous n'allons pas encore claironner qu'il est génial. Mais sa prise en main est pratique et il nous facilite déjà la vie notamment en normant un nombre de données absolument gigantesque », nous indique-t-on. Un outil qui, dans les faits, a commencé à être utilisé en fin d'année dernière, en particulier sur toutes les parutions de janvier des éditeurs qui viennent de rejoindre Media Diffusion : Points, Le Seuil, La Martinière, Métailié, L'Olivier. Au global, ce sont 4 000 nouveautés, plus de 100 éditeurs sur 12 000 points de vente qui sont déjà intégrés dans Nitro.

Défi intellectuel

Reste maintenant à séduire les patrons des autres grandes maisons. « Allez convaincre Antoine Gallimard ou un autre éditeur d'utiliser l'intelligence artificielle, c'est un vrai défi intellectuel », sourit Olivier Lenne. Après Média Diffusion, tous les diffuseurs, même les plus petits, sont dans le radar de Bearing Point. À quel tarif ? Difficile de le savoir précisément. « Ils ne paieront pas la même chose selon la complexité de la solution. On ne fera pas payer le même tarif à Dilisco qu'à Hachette », assure Marc Hispa.

Les discussions avec Hachette se poursuivent et une signature avec un autre grand diffuseur français devrait être bientôt annoncée. Le but, ensuite : étendre la solution sur tous les marchés européens et s'ouvrir à d'autres applications pour le monde du livre. « Nous venons perturber le fait du prince de l'éditeur et ses prévisions de ventes et de tirages. Les applications et extensions de notre service peuvent être larges : tournée des commerciaux, distribution, logistique, nombre de palettes, de cartons ou de camions nécessaires... », imagine Olivier Lenne. Et après la presse et le livre, d'autres facettes de ce que sa direction nomme « l'industrie du prototype » sont dans le viseur : retail, mode, cinéma...

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