Depuis Le goût du paradis en 2008, Nine Antico produit une œuvre forte et cohérente, dans laquelle elle s'interroge, à travers des héroïnes émancipées réelles ou imaginaires, sur la féminité, le désir, la séduction, l'indépendance. Des réflexions qu'elle prolonge aujourd'hui avec Madones et putains, trois histoires courtes situées en Italie et inspirées de faits réels. Dans un premier récit baigné de fantastique, Agata est envoyée par son père dans un sanatorium sur l'île de Stromboli après que sa mère a été assassinée par son amant dans les années 1910. Le soir, Agata tient les autres pensionnaires en éveil et en émoi en leur racontant l'histoire tragique de sainte Agathe. Le volcan, par un dramatique jour de Toussaint, mettra un terme aux jeux des jeunes filles, renvoyant Agata aux morts et aux fantômes de sa famille.

Le second récit est placé sous le signe de sainte Lucie de Syracuse. Vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, Lucia et son amie Concetta, fille d'un parrain local, fréquentent les souterrains de Naples, devenus, après avoir servi d'abri pendant les bombardements, des lieux de balades et de rencontres. Tandis que Concetta jouit de sa popularité auprès des GI, Lucia fréquente un déserteur allemand, un choix funeste. Tondue et stigmatisée, Lucia se réinventera des années plus tard, animée d'une soif de revanche sur les hommes et la mafia.

Dans le dernier récit, peut-être le plus bouleversant, Rosalia, 17 ans, vit sous un nom d'emprunt, entourée de gardes du corps, pour avoir, par vengeance, aidé la police à démanteler des clans locaux. Reniée et sacrifiée par tous les siens, Rosalia, comme la sainte du même nom, est contrainte de vivre recluse. Elle suivra de peu dans la mort le juge antimafia Paolo Borsellino qui l'avait recueillie.

Dans cet album ambitieux, extrêmement bien documenté, Nine Antico convoque la mythologie, la littérature, l'Histoire, l'art, mais aussi les caprices de la nature, comme autant de fils reliant entre eux les trois récits. Mettant en parallèle les destins tragiques de ses héroïnes et ceux des trois grandes saintes patronnes de la Sicile, elle donne un parfum de réalisme magique à ses récits en y glissant des éléments fantastiques. Son trait à la fois charbonneux et aérien, interrompu de temps à autre par de violentes touches de couleurs, magnifie cette Italie fantasmée, imprégnée de mysticisme et de mystère. Une Italie qu'elle n'oublie pas non plus de montrer sous un jour réaliste, cruel et prosaïque : poids de la famille, des traditions et de la religion, rôle de la mafia, nature sans pitié. Mais avant tout, elle brosse des portraits puissants de jeunes filles jamais libres malgré leur volonté, empêchées, par les circonstances et les autres, de s'épanouir pleinement. Vierges et martyres, comme ces saintes avec lesquelles elles partagent bien plus qu'un prénom.