Aucun éditeur français n'aura de stand individuel à la foire de Francfort. Une centaine d'entre-deux ont opté pour se réunir sur un stand commun, celui du Bief. Est-ce synonyme d'un nouveau mode de fonctionnement, plus collectif, ou au contraire d'une édition au rabais ?
C'est avant tout une excellente nouvelle puisque c'est la première foire qui se dessine depuis un an et demi. Mais ce sera une édition avec pas mal d'inconnues. Début septembre, nous n'avions encore qu'une quinzaine d'éditeurs inscrits, il y en aura finalement plus de 100. Nous aurons une délégation française d'une grande qualité. Les éditeurs français n'auront pas de stands individuels mais se retrouveront sur le stand du Bief. En sera-t-il de même l'année prochaine ? Je ne sais pas. Il ne devrait y avoir que la moitié des éditeurs internationaux habituellement présents, les acheteurs viendront sans doute moins nombreux et moins longtemps. La formule proposée par le Bief est une solution économiquement très intéressante pour les éditeurs. Nous en parlons avec eux pour dessiner le cadre de la présence française à l'avenir. Quant à ceux qui prédisent la fin des foires, je pense qu'il faut rester prudent.
Les éditeurs font des économies en n'allant pas dans les salons internationaux, certains groupes remettent en question l'intérêt de grandes foires internationales... Le modèle doit-il changer ?
Ceux qui remettent en cause le modèle des foires sont plutôt anglo-saxons. Mais quand on sait que l'édition américaine ne publie que 3 % de traductions, et l'édition britannique 6 %, contre 18 % en France, faut-il s'étonner ? Est-ce un mouvement de fond à l'échelle mondiale ? Je ne crois pas. Va-t-on vers des foires plus européennes et asiatiques ? La question se pose.
Quels enseignements tirez-vous de la pandémie ? En quoi cela a fait évoluer les pratiques du Bief ?
Depuis dix-huit mois, nous avons proposé quantité de nouveaux outils aux éditeurs : des coffee break, des catalogues thématiques digitaux, des webinaires sur des marchés étrangers, lointains ou non. Notre opération French week, par exemple, a été un beau succès avec 550 éditeurs étrangers présents et près de 1 500 rendez-vous avec les éditeurs français. Nous avons démultiplié nos actions par rapport à un programme habituellement classique fait de foires, de rencontres et d'études. L'enjeu dans les mois à venir va être de pouvoir proposer un programme en présentiel et garder le meilleur de nos opérations digitales. Avec Antoine Gallimard, qui préside actuellement le Bief, et les membres du conseil d'administration, nous partageons une vraie ambition au service de tous les éditeurs, de toute taille, dans tous les secteurs.
Les librairies francophones à l'étranger ont été dans l'ensemble très fragilisées par la crise sanitaire. Comment les soutenez-vous ?
Elles sont un maillon absolument essentiel de la diplomatie culturelle française à l'étranger et leur rôle doit me semble-t-il être renforcé. Nous travaillons en ce sens avec l'AILF [Association internationale des libraires francophones, NDLR], les Instituts français, le CNL et le ministère de la Culture. Le rôle du Bief est d'œuvrer en coulisses à fédérer les énergies. Si on dit haut et fort que ces librairies sont aussi importantes que celles de l'Hexagone - ce que je crois -, alors il faut encourager le dialogue avec les diffuseurs-distributeurs et qu'elles ne soient plus pénalisées par des solutions de transport inadaptées. Une importante initiative sur le sujet sera dévoilée fin septembre.
Comment se porte la vente de droits de titres français à l'étranger en cette période de sortie progressive de la crise ?
Si on regarde l'année 2020, les chiffres sont moins en baisse que ce qu'on avait pu craindre. Avec les confinements, il y a eu une forte décélération des achats de droits dans le monde. Les éditeurs français ont remarquablement tiré leur épingle du jeu avec une baisse très contenue des cessions, inférieure à 3 %. Avec des situations hétérogènes toutefois, comme par exemple -20 % des achats de droits français en Italie. Cela veut dire qu'il faut réenvisager la manière de travailler avec certains pays, explorer de nouveaux territoires, réappuyer sur l'accélérateur.
Quels sont, en cette rentrée 2021, les principaux acheteurs de droits de livres français ?
La Chine reste toujours notre premier partenaire, suivi par l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, puis un fort peloton de pays européens. D'autres pays comme la Turquie, la Corée du Sud ou encore la Russie sont en bonne forme. Une inquiétude : certains postes de chargés du livre au sein d'Instituts français à l'étranger disparaissent, notamment en Russie ou en Égypte. Il nous faut prioriser les pays sur lequel doit porter notre action pour confirmer la place du livre en tant que première industrie créative à l'export. Rappelons qu'en 2020, 12 000 projets ont été cédés ou adaptés dans le monde.
Quelles sont vos pistes de développement géographique ?
Elles sont très nombreuses. Cette fin d'année 2021 nous allons porter notre attention sur les pays nordiques. Des séjours collectifs « perspectives » sont prévus avec des éditeurs en Finlande et au Danemark.
À une période où les pouvoirs publics souhaitent renforcer leur soutien à l'export de nos industries créatives, n'y a-t-il pas des efforts à faire pour le livre ? Alors que le cinéma par exemple est très soutenu, n'est-ce pas aussi au livre d'être un ambassadeur de l'art de vivre à la française ?
Il y a une marge de progression considérable. Il faut donner aux éditeurs les moyens de rencontrer plus directement de nouveaux partenaires et multiplier les pays où être présents. Il y a beaucoup à faire en Amérique du Sud, en Amérique centrale, en Inde, en Indonésie... Ce sont des gisements de contrats considérables que l'édition française n'exploite pas assez. L'édition anglo-saxonne est très forte, nous sommes n° 2, il faut aller les challenger. Un exemple : la France sera invitée d'honneur de la foire de New Delhi 2022 : pour que les professionnels français puissent comprendre ce marché, il faut que nous puissions investir. Le retour sur investissement prendra probablement trois à cinq ans, mais si on ne s'en donne pas les moyens maintenant, les places seront prises par d'autres.
Quelles sont les autres pistes de progrès en dehors des pouvoirs publics ?
Je crois beaucoup à des partenariats avec le secteur privé. Vous le disiez, le talent de nos auteurs, de nos illustrateurs, de nos éditeurs participe pleinement d'un art de vivre à la française. De nombreuses entreprises pourraient avoir un intérêt à associer leur image au fantastique succès de l'édition française à l'international. Je pense aux secteurs du luxe ou des transports. Il y a assurément ici des choses à imaginer.
Une structure comme le Bief a-t-elle à votre connaissance un équivalent à l'étranger ?
Non, le Bief est une structure qui nous est enviée dans le monde entier. Il y a parfois des formes plus proches de type CNL mais une structure toute entière dédiée à accompagner le développement à l'international d'un point de vue « business », c'est une chance. Beaucoup de pays essaient de s'inspirer du modèle français, que ce soit du Bief, du CNL ou encore du prix unique du livre.
Rencontres, catalogues, études... quelle sera la ligne directrice du Bief à moyen termes ?
Elle reposera sur ce triptyque, mais en développant de nouvelles actions. Je crois personnellement aux rencontres professionnelles. Elles permettent aux éditeurs de rencontrer beaucoup de nouveaux partenaires en très peu de temps. Une frappe chirurgicale sur un seul pays plutôt qu'une foire internationale lors de laquelle on rencontre un peu de tout le monde mais sans compréhension immédiate d'un territoire. Dès 2022, nous allons sans doute investir dans des formats courts sur deux ou trois jours, avec des formats digitaux en complément. Nous réorganiserons probablement des French weeks, sur des régions ou des secteurs éditoriaux précis.
Dans quelques jours, nous lancerons un nouveau service pour les éditeurs français et internationaux : la plateforme booksfromfrance. Nous enverrons des sélections thématiques aux éditeurs étrangers par des liens via une newsletter et les réseaux sociaux... Ils auront accès à une sélection serrée de titres à très forts potentiels de traduction. Ils constitueront un panier des titres sur lesquels ils voudront des renseignements et leur demande arrivera directement dans les bonnes boîtes mails. La plateforme existera aussi en français pour faciliter le travail des librairies françaises à l'étranger, des bibliothèques, des Alliances françaises. Encore une fois, nous voulons faciliter le travail de tout le monde. Dans le monde des cessions de droits, il faut éviter les pertes de temps.
Vous aviez prévu à votre prise de poste il y a trois ans de repenser le rôle du Bief, un projet bouleversé par la crise sanitaire. Quels seront les grands chantiers de votre fin de mandat ?
Nous avons initié un mouvement très fort de renouvellement. Nous travaillons maintenant avec la Scelf et l'Institut français pour Shoot the book, avec le festival d'Angoulême ou encore Quais du polar... Nous avons étendu notre toile, et cherchons encore à l'étendre avec tous les partenaires qui travaillent à l'export, les syndicats étrangers, tous ceux qui nous permettent d'être le relais de l'édition française dans le monde. Le livre audio et l'adaptation audiovisuelle font partie de nos priorités. Dans l'immédiat, nous allons proposer aux éditeurs de repartir rencontrer leurs partenaires étrangers. Après une pause de 18 mois pour les événements en présentiel, nous avons cinq opérations à l'étranger ce mois-ci.
Le salon du livre de Paris change de nom et de formule l'année prochaine. Quel rôle pouvez-vous y jouer ?
Cette nouvelle formule est incontestablement l'occasion d'accoler à un événement très grand public un évènement professionnel novateur à une période de l'année plutôt favorable. Nous avons l'occasion de créer un véritable nouvel évènement. Beaucoup de discussions sont à venir avec la nouvelle direction. Nous avons déjà mille idées qui devront être confrontées à la réalité.
Pour finir, notre numéro s'intéresse au métier d'agent, ce nouveau maillon de la chaîne du livre. Vous pour qui les gestionnaires de droits sont des interlocuteurs essentiels, quel est votre avis sur ce métier ? Est-ce que les agents remettent en cause le travail des cessionnaires de droits ?
Je veux redire à quel point les cessionnaires de droits, nos partenaires naturels, sont les meilleurs ambassadeurs de l'édition française. Leur connaissance du secteur est irremplaçable. J'ai beaucoup d'estime pour certains agents mais, avec le développement rapide d'une expertise audiovisuel chez les éditeurs, je ne suis pas sûr que le marché français mute aussi facilement que certains le croient vers un modèle anglo-saxon. Par ailleurs, ne faut-il pas de se demander si certains agents ne sont pas victimes du même mal qu'ils imputaient aux éditeurs en s'occupant de trop d'auteurs ?