D'aussi loin qu'il se souvienne, il a toujours dessiné. Son amour du trait est l'expression d'un grand sens de l'observation, qu'encourageait son père ingénieur. « Il m'apprenait, par exemple, comment on reproduit une voiture en perspective. Mon père était plutôt bon dessinateur, se rappelle Nicolas de Crécy, il aurait pu être artiste si un choix de carrière "sérieux" ne lui avait pas été dicté par son époque et son milieu. » Autre vertu du dessin : « La seule chose qui me calmait, c'était de raconter des histoires en dessinant, de créer mon propre univers », avoue le deuxième d'une fratrie de cinq dont il est l'aîné des garçons. Les autres ont aussi la fibre artistique ; le cadet est l'un des hérauts de la French touch, la scène électro française des années 1990, les benjamins ont été primés pour leurs clips et dessins animés, la grande sœur est dans le design. Bac en arts appliqués, Beaux-Arts d'Angoulême, Nicolas de Crécy ne lambine pas. A 20 ans, il mène de front et de nuit sa carrière dans la bande dessinée. Foligatto, son premier album (Les Humanoïdes associés, 1991), il le réalisa nuitamment alors qu'il dessinait des décors pour Disney le jour.
Un gamin infernal
Le petit Nicolas était « un gamin infernal ». Rien ne le laisserait pourtant deviner lorsqu'on prend le café dans l'intérieur dépouillé du dessinateur, à la longue silhouette et au sourire doux. Son univers graphique est plutôt déjanté. Nés sous son crayon (une plume importée du Japon grâce à quoi il exécute à l'encre « direct, et très rapidement » le dessin auquel il ajoute l'aquarelle) : Foligatto, un castrat qui a perdu sa voix ; Léon la Came, centenaire milliardaire communiste, qui donne son nom à des aventures qui valurent à
Nicolas de Crécy l'Alph Art du meilleur album à Angoulême ; ou encore le Bibendum céleste, « monstre gentil » obèse et aérien... Tous sont des personnages hauts en couleur. D'ailleurs, rares sont les auteurs du 9e art à allier avec autant de bonheur le chromatisme et le trait. Pour preuve, l'urbanisme onirique de New York-sur-Loire qui a donné
lieu à une exposition-vente chez Artcurial, à Paris, en 2013. Fond et forme ne font qu'un, animés par la logique du rêve, une cohérence dans le protocole du merveilleux : « J'ai conçu Le Bibendum céleste avec des moments forts
de rêve jetés sur le papier dès que je me
réveillais de mes siestes. » On y retrouve la labilité du réel, comme dans Lewis Carroll, le surréalisme, Boulgakov, un auteur de prédilection, ou les mangas de l'empire du Soleil-Levant, où il est
resté six mois à la Villa Kujoyama, à Kyoto.
Dans son nouveau livre Les amours d'un fantôme en temps de guerre, qui paraît chez Albin Michel Jeunesse, un bébé spectre âgé de 89 ans traverse les périodes comme les murs et raconte ses « trois amours : une fantôme, une chienne, une humaine » et la guerre. La douce tonalité loufoque de Nicolas de Crécy traverse encore ce livre. Mais ici et pour la première fois, texte et dessins sont en vis-à-vis, il ne s'agit pas d'une BD ni d'un roman graphique. Qu'a motivé ce passage de la plume à dessin à la plume d'écrivain ? « J'ai toujours écrit en parallèle. Intellectuellement, j'ai besoin de voir ailleurs. » Il y avait eu Cafés moulus (Verticales, 2004), des textes brefs accompagnés de dessins, en format à l'italienne. Le roman illustré, cela s'est toujours fait. Et Nicolas de Crécy de citer L'Enfer de Dante avec les gravures de Gustave Doré, qui l'enchantait, enfant. Petit Nicolas devenu grand est aujourd'hui l'enchanteur.
Les amours d'un fantôme en temps de guerre
Albin Michel-Jeunesse
Tirage: 8000 EX.
Prix: 23.9 EUR
ISBN: 9782226437365
En dates
1966
Naissance à Lyon
1987
Diplôme des Beaux-Arts d'Angoulême
1988
« Foligatto »
(scénario Alexios Tjoyas, Humanoïdes associés)
1994
Tome 1 du
« Bibendum
céleste » (Humanoïdes associés)
1998
Alph Art du Meilleur album au Festival d'Angoulême pour « Léon la Came » (scénario Sylvain Chomet, Casterman)
2016
Exposition
« Le manchot mélomane » au Centre d'art contemporain à Quimper, reprise en 2017 à la Ferme du Buisson (77)