Pour fuir ce qu'elle nomme encore le « réel » dans un monde pourtant ultraconnecté et virtuel, l'inspectrice Mielikki Neith se réfugie autant que possible dans ses rêves, souvent érotiques. À force d'entrer dans la tête des gens et de passer son temps à être quelqu'un d'autre, elle est proche du burn out.
Car son métier consiste à pénétrer « physiquement » la mémoire des personnes sur lesquelles elle enquête, pour y détecter des anomalies, voire des liens possibles entre celles-ci et l'affaire criminelle qui l'occupe, en l'occurrence la mort de Diana Hunter. Cette dernière était une figure de la dissidence et luttait contre la surveillance globale instaurée par le « Système ».
Elle a fait un AVC lors d'un interrogatoire au cours duquel elle a subi, à l'aide d'une sonde cérébrale, une lecture mentale afin d'être éventuellement reprogrammée pour redevenir une citoyenne heureuse et docile.
Suite à ce qui ressemble à une erreur d'aiguillage, l'enquête de Mielikki la conduit à s'introduire dans le cerveau de trois personnages singuliers, une alchimiste, un peintre éthiopien et un homme d'affaires grec, qui ne semblent pourtant pas impliqués dans l'affaire. Trois êtres blessés : la première a traversé les enfers pour ramener à la vie son fils mort ; le deuxième a connu l'horreur des prisons d'Addis-Abeba pour avoir promu un art « incitant à la haine raciale » ; le dernier s'enrichit de façon indécente tout en étant poursuivi par un requin géant.
Mielikki sait qu'elle ne trouvera pas le coupable tant qu'elle ne parviendra pas elle-même à échapper à la surveillance que le Système a mis en place. Elle course un suspect derrière lequel elle cavale en vain à travers les ruelles et les bas-fonds de la cité, tout en traquant les secrets tapis dans l'esprit de plusieurs personnages, dont celui de Gnomon, créature artificielle qui pourrait être à l'origine de plusieurs crimes et qui tente aussi de manipuler l'enquêtrice.
Alors qu'un certain Oliver Smith est dévoré par un requin dans un tunnel de la ville, Mielikki se cogne à de faux souvenirs et à la mémoire souvent terrifiante des protagonistes, en se défiant des gardiens du Système, les « Juges de feu », et en s'alliant à une bande de bagarreurs asociaux surnommée « La Pieuvre », dans une grande cité devenue une fourmilière surpeuplée, grouillante et menaçante : « Londres repose depuis toujours sur un nid d'abeilles de vides et de boyaux ; [...] certaines métropoles s'étirent vers le ciel ou vers l'extérieur ; la capitale anglaise s'enfouit dans le noir. »
Au fil d'une langue aussi vive et ardente que gracieuse, à la poésie tortueuse, ce roman en deux tomes de Nick Harkaway ne propose pas seulement, dans un registre cyberpunk, un univers futuriste et dystopique original et spectaculaire, à la construction et aux rebondissements stupéfiants ; il préfigure également le danger de la fusion entre l'État et la grande entreprise, et celui d'une « démocratie » directe gérée par des algorithmes.
Gnomon. Tome 2 Traduit de l’anglais par Michelle Charrier
Albin Michel
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 24,90 € ; 480 p.
ISBN: 9782226443663