La New Romance a fait irruption dans le paysage éditorial depuis une dizaine d’années mais reste un continent un peu inconnu et inexploré. Mes deux collègues Adeline Florimond-Clerc et Louis Gabrysiak apportent une contribution bien utile à la compréhension de ce phénomène dans New Romance : Anatomie d'un phénomène éditorial. À la lumière de leur travail, on peut se demander ce que la New Romance nous dit de la lecture aujourd'hui.
Lecture vivante
Dans le marché du livre 2024, les titres de New Romance occupent 6 des 50 meilleures ventes tous genres confondus et 14 dans la catégorie Romans. Dans l’enquête 2025 sur les Français et la lecture, 26 % déclarent avoir lu au moins un titre de « romans sentimentaux, de New Romance » et 7 % un « roman de Dark romance ». Ces chiffres montent à 47 % et 27 % chez les 15-19 ans.
Clairement, ce genre occupe une place majeure et particulièrement dans les nouvelles générations. Les discours de déploration sur la baisse de la lecture ne collent pas avec le succès massif de ce genre. Le renouvellement de la lecture (y compris papier) a été le fruit du passage par les outils numériques. Wattpad et les plateformes créées par la suite ont fourni un espace dans lequel s’est développé une forme d’expression nouvelle. Si la lecture peut se transmettre, mais on sait les difficultés rencontrées à ce sujet, elle peut surtout se régénérer. Les jeunes ne sont alors plus des héritiers devant inscrire leurs pas dans le sillon de leurs aînés, ils découvrent au contraire de nouveaux champs qu’ils vont labourer à leur manière. Dans cette mutation, le livre papier conserve une place mais il doit devenir un bel objet et être plus abouti (y compris dans l’écriture grâce à l’intervention d’éditrices) que la version numérique.
La naissance interactive des textes et de ce genre, induit une modification du rapport entre lectrice et autrice. Les deux sont en recherche de proximité, de relations personnelles. L’autrice n’est pas cet être supérieur et lointain mais celle qui a partagé son écriture avec « ses » lectrices. Les remerciements et les séances de dédicaces témoignent de ce lien. Bien sûr que le marketing n’est pas loin qui, dans des festivals, monétisent cette proximité (événements, dîners) mais cela ne retire rien à ce qui est en jeu.
Lecture féminisée
La lecture de livres est devenue plus fréquente chez les femmes à partir des années 1980. Les enquêtes sur les Pratiques Culturelles des Français montrent que l’essentiel de l’érosion de la part de lecteurs dans la population est imputable au recul de la pratique masculine. Et la dernière enquête du CNL mesure que si deux tiers des femmes déclarent lire beaucoup ou moyennement, c’est seulement le cas de 43 % des hommes.
La New Romance rencontre un impressionnant succès auprès du public féminin et particulièrement des jeunes. La vitalité de la lecture s’exprime dans cette capacité de notre société (des autrices aux plateformes, des librairies aux salons littéraires) à faire surgir de nouveaux supports de lecture en phase avec une nouvelle génération de lectrices.
Un rapport renouvelé à la sexualité
Dans ce genre littéraire, la nouveauté ne réside pas dans la mise en avant de l’amour mais dans celle de la sexualité qui lui est associée. Il s’agit de trouver des mots pour nourrir et penser le rapport à son propre corps et aux plaisirs qu’il peut délivrer. Cette ressource ouvre la voie à une réflexivité au moment même de l’entrée et du début de la vie sexuelle.
Le sexe n’est plus un devoir ni un plaisir pour les hommes (fournis par leurs partenaires), les femmes revendiquent leur part. La Dark romance n’est pas l’apologie de la violence mais une sorte de mise en scène de limites qu’il s’agit d’éviter dans la « vraie vie ». Elle est une exploration fantasmée des possibles par l’intermédiaire d’un récit écrit qui permet de vivre une expérience par procuration et éventuellement de la mettre à distance si elle devient source de malaise.
Lecture socialisée
Et dans cette rencontre avec soi que le texte permet, la lectrice n’est pas seule. En amont de la lecture, des sociabilités l’entourent que ce soit en ligne par l’intermédiaire de vidéos des réseaux sociaux ou d’amies. Le fleurissement de librairies dédiées à la New Romance répond d’ailleurs à ce souhait de pouvoir être conseillée dans la découverte du genre. Et l’identification des « tropes » (types d’histoires d’amour en jeu) permet de s’orienter dans la production.
Dans le moment même de la lecture, les lectrices peuvent partager leur expérience. TikTok héberge des vidéos de lectrices émues par la lecture de leur livre de New romance. Historiquement associé à ce genre, Wattpad offre la possibilité aux lectrices de poser des commentaires à l’adresse des autrices mais aussi des lectrices voire des personnages.
Les lectrices prennent également part à une « communauté » à laquelle elles peuvent être attachées. Celle-ci vit au travers des réseaux sociaux, des festivals et des interactions privées.
Des lectrices puissantes
La New Romance naît d’une modification du statut des femmes dans notre société. Ces dernières n’entendent pas renoncer à l’amour mais veulent le redéfinir et s’approprier leur sexualité. Les plateformes de publication de textes sur Internet ont donné naissance à des histoires dans lesquelles les lectrices se sont retrouvées. Leurs lectures, leur approbation (ou désapprobation) ont donné vie à une production éditoriale qui a fini par s’inscrire dans le monde du livre. La vitalité de la lecture se situe donc dans ce cheminement qui mène des lecteurs (ici lectrices) au livre. Cela tranche avec la vision d’une lecture qui serait portée par l’offre ou le soutien public à cette pratique…