Roman jeunesse

« Vous attendez une jupe en lambeaux, du sang sous les ongles et des témoins. » Dès l'incipit de ce roman, on est pris à la gorge. Une adolescente victime d'un viol fait une déposition à la gendarmerie trois mois après les faits. Mais les mots ne sortent pas comme l'officier aurait voulu. La jeune fille n'a pas eu le temps « d'inventer le langage de son viol. Ça ne s'apprend nulle part ». « Je vais faire les courses » ne se formule pas comme « le garçon m'a violée », dit-elle. « Je ne peux exprimer le viol avec la netteté que vous espérez. Cette clarté n'existe pas. » Le fonctionnaire enregistre néanmoins la plainte, mais comme à reculons. Elle aurait dû crier, elle aurait dû pousser la porte d'un commissariat plus tôt, n'aurait pas dû se doucher, etc. Et puis, au fond, elle s'est bien laissé tripoter, non ? Ce n'est pas la fille du gendarme à qui on aurait conté fleurette de la sorte ! Comme si la douleur et l'humiliation ne suffisaient pas, la victime doit encore affronter la culpabilisation, le doute et la méfiance devant sa parole. Sans oublier l'argument imparable du « c'est parole contre parole ». Dans un long et douloureux monologue intérieur, la narratrice tente de répondre aux questions de l'homme assis en face d'elle tout en revenant sur la scène du crime de ce funeste dimanche d'avril. Depuis cette journée noire, elle sent l'humus et ne cesse de se laver, de frotter. « Et me rincer de vous et de l'anatomie meurtrière », dit-elle. Long cri de blessure et de révolte poussé dans une langue qui est tout sauf crue, ce texte qui gicle de la chair la plus intime déchire à son tour la nôtre.

Nastasia Rugani
Je serai vivante
Gallimard Jeunesse
Tirage: NC
Prix: 9 € ; 128 p.
ISBN: 9782075157445

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