15 mai > Histoire Hongrie

La guerre vieillit prématurément. Eva Heyman n’avait que 13 ans mais elle pensait déjà comme une adulte. Elle savait qu’Hitler était une sorte de diable, les politiciens des complices et la police des serviteurs zélés. Elle le savait parce qu’elle vivait à Oradea en 1944, ville roumaine alors sous domination hongroise, et qu’elle était juive.

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Son Facebook à elle, c’était son journal intime. Un seul ami, une seule lectrice. Son mot de passe ? Une petite clé qu’elle portait autour du cou. Chaque jour, du 13 février au 30 mai 1944, elle lui confia ses émois, son incompréhension de fille de parents divorcés, son attirance pour un jeune bachelier, l’entrée des Allemands dans son pays puis cette étoile jaune qu’il a fallu coudre sur les manteaux, ces gens arrêtés qu’elle ne reverrait plus, sa bicyclette confisquée par les gendarmes, jusqu’au transfert dans le ghetto insalubre transformé en camp. « En fait, tout est interdit, mais le plus terrible c’est qu’il n’y a qu’une seule peine : la mort. »

Jusqu’au dernier moment, elle écrit combien elle veut vivre, pour devenir photoreporter, voyager, éprouver intensément le monde dont elle attend autre chose que cette indifférence. Du camion qui l’emmène dans le ghetto, elle aperçoit la ville et les gens insensibles aux sorts de ces familles dont on s’apprête à retirer la vie. « Je veux vivre, même si je dois être la seule à rester ici ! Je me cacherai dans une cave, un grenier ou n’importe quel trou jusqu’à la fin de la guerre. Je me laisserai même embrasser par le gendarme qui louche, celui qui nous a pris la farine, pourvu qu’il ne me tue pas, qu’il me laisse vivre ! »

Dans la littérature de la Shoah, le journal d’Eva Heyman n’occupe pas la place symbolique de celui d’Anne Frank. Il n’en est pas moins bouleversant. Cette première traduction française révèle un document de premier plan, mélange de lucidité glaçante et de naïveté touchante. Ce témoignage a été dévoilé en 1946 par Agui, la mère d’Eva, juste avant son suicide. « Moi, je ne veux pas mourir ! J’ai vécu si peu », écrit la fille. Le 6 juin 1944, jour du débarquement allié en Normandie, Eva entre à Auschwitz pour ne plus jamais en ressortir. L. L.

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