Portrait

Mireille Paolini, la discrète éditrice de Camille Kouchner

Editrice aux éditions du Seuil - Mireille Paolini - Seuil - Photo Olivier Dion

Mireille Paolini, la discrète éditrice de Camille Kouchner

Tout a été dit ou presque depuis la publication de La familia grande (Seuil), le livre de Camille Kouchner. Mais on le sait peu : derrière le manuscrit et la déflagration médiatique qui l'a suivi, il y a une discrète éditrice de 48 ans. Qui arpente, depuis ses débuts aux Arènes et chez Calmann-Lévy, les frontières entre roman et journalisme, ambition littéraire et désir d'engagement.

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Par Stéphanie Marteau
Créé le 04.03.2021 à 15h56

C'est sur un banc du jardin des Plantes qu'elle a donné rendez-vous à Luc Bronner, alors directeur des rédactions du Monde, un matin de décembre 2020. Mireille Paolini, 48 ans, n'a pas spécialement le goût de la mise en scène, mais elle devait garder le secret quelques semaines encore sur la parution du livre de Camille Kouchner, La familia grande. La juriste de 45 ans y accuse son beau-père, le politiste Olivier Duhamel, d'agression sexuelle sur son frère jumeau lorsqu'ils étaient adolescents. « Duhamel avait été auteur et directeur de collection au Seuil, il avait encore des connaissances dans la maison, et aurait pu faire jouer ses réseaux. On gardait le secret car on craignait les pressions, un éventuel référé. Quand on a sorti le livre, on ne savait pas qu'il reconnaîtrait les faits publiquement », raconte-t-elle aujourd'hui. Quand Mireille Paolini lui remet le manuscrit, Luc Bronner l'avertit: « On va traiter ce sujet comme n'importe quel sujet. Il y aura des moments désagréables, parce qu'on va vérifier ». Elle le comprend très bien, ne s'attendait pas à autre chose. Ces deux-là se connaissent depuis 2010 et la publication du premier livre du journaliste, La loi du ghetto, chez Calmann-Levy, où l'éditrice travaillait alors.

Mireille Paolini, éditrice aux éditions du Seuil.- Photo OLIVIER DION

215000 exemplaires

En ce début d'hiver, seuls deux autres journalistes ont lu le manuscrit, Olivia de Lamberterie (Elle, France 2, France Inter) et François Busnel, qui recevra Camille Kouchner à « La grande librairie » (France 5), pour sa seule et unique émission de télévision. Un plan média initié dans Le Monde et maîtrisé au millimètre, tout comme le travail d'édition qui l'a précédé. Mireille Paolini est la seconde éditrice à qui le livre a été proposé, en mars 2020. « Je l'ai tout de suite transmis à Hugues Jallon (le P-DG du Seuil). Jusqu'à l'été, nous n'étions que quatre à être au courant en interne », rappelle-t-elle. Un tout petit cercle, où Mireille Paolini accompagne les tourments de Camille Kouchner, avant et après la parution du livre : « On s'est énormément rapprochées, il y a eu des moments très intenses, lorsqu'elle a fait lire le texte à ses frères notamment, puis à la parution du Monde. Elle s'est alors coupée des réseaux sociaux, je la tenais au courant ». Les 215 000 exemplaires vendus fin janvier témoignent du succès du livre, autant que la naissance du mot dièse #metooinceste et la libération de la parole qui a suivi...

« Ce succès, c'est l'aboutissement de quinze ans de travail », jurent les proches de cette mère de famille menue et discrète. « Tu l'attendais depuis longtemps, ta grande aventure ! Tu n'as jamais renoncé et j'ai admiré ta persévérance. Ce livre et son histoire hors norme vont changer ton destin et j'en suis heureux pour toi », lui a ainsi textoté Laurent Beccaria, le patron des Arènes, qui lui a mis le pied à l'étrier à la fin des années 1990.

Diplômée de Sciences-po et d'histoire de l'art, Mireille Paolini, fille de haut fonctionnaire, d'origine corse, a tracé son sillon en marge d'une industrie dont elle s'est longtemps sentie étrangère. Elle a quitté Calmann-Lévy, où elle est restée neuf ans, a été indépendante, avant de rejoindre Le Seuil il y a deux ans. « Pour la première fois, avoue-t-elle, je me sens véritablement chez moi. En phase avec ce que publie la maison, dont j'aime le côté austère, pas tapageur ». Grave, tout en contrôle, n'hésitant pas montrer de manière déconcertante qu'elle s'est renseignée sur vous, ses auteurs jurent pourtant qu'elle est « très drôle et volubile » quand un projet la transporte.

Les gosses de Belleville

Mariée depuis dix ans avec Antoine de Gaudemar, journaliste durant vingt ans à Libération, dont il fut directeur de la rédaction, Mireille Paolini assure être avant toute chose « très cohérente. C'est une vertu de la psychanalyse, dont je suis une publicité vivante », sourit-elle. Elle se revendique de gauche. Certes pas comme Antoine de Gaudemar et Serge July pouvaient l'être jeunes, quand ils étaient membres de la Gauche prolétarienne - « Je ne me suis jamais engagée dans un parti, j'ai horreur de la hiérarchie, je déteste le carcan, je hais les partis  » -, mais au sens où « je ne pourrais pas défendre des auteurs dont les valeurs sont trop éloignées des miennes. J'ai des principes et je fuis le cynisme », explique-t-elle. « Un idéal », précise un ami. Un temps, elle a donné des cours de soutien scolaire à des gosses à Belleville.

Plus que de la politique, Mireille Paolini à une conscience très aigüe des questions de société. Avec le temps, elle a agrégé autour d'elle une « famille » d'auteurs, essentiellement recrutés par cercles concentriques et affinités électives. « Des gens sérieux, plutôt fidèles, qui ont fait au moins trois livres. J'ai besoin de bien aimer les gens avec lequel je travaille. Il faut qu'on se corresponde ». Elle a publié sur la question des banlieues avec Luc Bronner, sur l'apprentissage de l'arabe avec Nabil Wakim (journaliste au Monde), sur les violences policières avec l'avocat Arié Alimi (Le coup d'état d'urgence), et maintenant sur l'inceste. Elle aime les faits divers pour peu qu'ils racontent une époque (Les imprudents, sur la résistance en Ardèche, d'Oliver Bertrand) ou un milieu (D'argent et de sang sur la mafia de la taxe carbone, de Fabrice Arfi). Plus rarement, elle a tenté des « coups », comme en 2009 le livre d'entretien de Jamal Dati, où il évoquait son expérience de la prison et réglait ses comptes avec sa sœur garde des Sceaux, Rachida Dati. Mireille Paolini avait déposé plainte après s'être fait piquer le manuscrit sur son bureau, chez Calmann-Lévy.

Le choix de la littérature

Le « document », au sens classique du terme, n'est de toute façon pas son genre de beauté. Mireille Paolini a notamment été recrutée au Seuil pour développer le genre « creative non fiction ». Le témoignage de Camille Kouchner s'est ainsi retrouvé, à son initiative, classé en « Littérature ». « C'était narratif, sophistiqué, c'était évident », assume Mireille Paolini, consciente que ce choix à été commercialement décisif pour la carrière du livre... Voilà des années qu'« obsédée par la manière dont on raconte les choses », elle encourage des non-écrivains à oser l'écriture. L'éditrice a ainsi développé un genre hybride, hors-cadre, qui propulse parfois ses auteurs-journalistes dans des pages qui ne sont pas les leurs habituellement... Chez Calmann-Lévy, déjà, elle avait décroché en 2013 pour Tarnac, magasin général, de David Dufresne, la Une du Monde des livres. Même positionnement pour Chaudun, la montagne blessée, de Luc Bronner, paru en octobre dernier. « Elle m'a permis de passer du journalisme à une écriture plus seulement journalistique. Pour Chaudun, elle a accepté presque une forme de poésie. Elle n'a pas peur de proposer des livres dans des formats parfois inclassables », explique l'auteur. Mais sa plus grande réussite, de ce point de vue, est le livre de Bulle Ogier et Anne Diatkine, J'ai oublié, couronné par le prix Médicis Essais en 2019. « Les mots « document » ou « autobiograpie » n'ont jamais été prononcés, sourit Anne Diatkine. Sur ce livre, la grande intelligence de Mireille a été de faire lire le manuscrit en littérature, au Seuil, où il a été pris. Elle n'est pas coincée dans un prototype de livre. Ils ont tous un enjeu littéraire ».

Bio

1999 : débute dans l'édition, aux Arènes.

2007 à 2016 : directrice littéraire chez Calmann-Lévy.

2013 : édite le livre de David Dufresne, Tarnac, magasin général.

2018 : embauchée au Seuil comme directrice de collection, aujourd'hui directrice littéraire.

2019 : prix Médicis Essais avec Bulle Ogier et Anne Diatkine pour J'ai oublié.

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