Balèze la baleine ! Le panda est l'animal fétiche du WWF (World Wildlife Fund) qui l'a choisi pour logo. Quoique pour symboliser la biodiversité en péril, l'ONG environnementale eût tout aussi bien pu prendre la baleine qui, à la différence de l'ursidé au pelage noir et blanc, continue d'être chassée. Graphiquement, avec son énorme tête arrondie et sa belle nageoire caudale en Y, elle aurait certainement fait l'affaire. Le plus grand des cétacés est de surcroît dans l'imaginaire enfantin un gros poisson mignon. Cela étant dit, cette réputation de gentil n'a pas toujours été, et au Moyen Âge, nous rappelle Michel Pastoureau dans La baleine, une histoire culturelle, le mammifère marin est assimilé au diable.
La baleine rejoint le loup, l'ours, le taureau, le corbeau dans ce joli bestiaire qui se décline en série au Seuil. Et comme toujours chez l'historien spécialiste de l'héraldique et des couleurs, l'érudition se marie au plaisir du récit, étayé par une riche iconographie. Ici, dans une miniature, en gigantesque poisson « vert, [couleur] qui l'apparente au dragon ou au crocodile » ; là, sculptée dans un chapiteau où on la voit en monstre marin recrachant le prophète Jonas ; plus loin, en furie sur l'affiche de l'adaptation de Moby Dick d'Herman Melville par John Huston... Quelque apparence qu'elle revête, la baleine incarne la menace, qui n'est autre que la terreur qu'inspire la mer - ce chaos aquatique opposé à l'harmonie terrestre.
« Baleine » est, bien sûr, à entendre dans son acception culturelle, au sens très large, englobant des créatures pisciformes diverses. Dépassant la nomenclature contemporaine des cétacés, le mot figure dans les esprits au fil des siècles, par le truchement de la littérature et de l'art, une présence monstrueuse tapie dans les profondeurs et prompte à surgir à tout moment pour détruire les bateaux et engloutir les marins... Retour à l'Antiquité, et à la terrifiante baleine Ketos (Cetus, en latin, qui donne son nom à l'espèce). Persée affronte Ketos et le tue afin de délivrer de son emprise vorace la belle Andromède. Cette princesse avait été sacrifiée par son propre père, le roi des Éthiopiens, pour calmer Ketos, instrument de la colère divine, qui ravageait les côtes du pays. La reine s'était vantée de la beauté de leur fille, la disant supérieure à celle de toutes les nymphes de la mer réunies. Cetus, ou constellation de la Baleine, commémore cet épisode et enseigne l'humilité aux humains. Ne pas se prendre pour des dieux mais prendre soin du vivant, dans toutes ses formes, petite ou grande, comme ce gros cétacé aujourd'hui menacé d'extinction.
La baleine : une histoire culturelle
Seuil
Tirage: 25 000 ex.
Prix: 19 € ; 160 p.
ISBN: 9782021516883