Aider à surplomber le vide, donner un sens à l'absurdité, voilà à quoi servent les mots quand on a perdu ce que l'on avait de plus cher. En juillet 2007, Aura Estrada, la jeune épouse de l'écrivain Francisco Goldman, est morte accidentellement à 30 ans. Pour se souvenir et honorer sa mémoire, pour Dire son nom, son mari a écrit ce livre vital plein d'amour et de douleur.
Quand la vive Mexicaine et le quadragénaire célibataire, grandi à Boston, écrivain-journaliste connu notamment pour ses reportages en Amérique centrale dans les années 1980, se rencontrent, la jeune femme prépare un doctorat de littérature espagnole à New York. Elle a obtenu plusieurs bourses pour pouvoir venir étudier à Columbia, fille unique élevée par une mère dévouée, avec laquelle elle entretient une relation fusionnelle.
Rentré seul dans l'appartement de Brooklyn où le couple a vécu pendant un peu plus de quatre ans, le veuf s'accroche aux reliques. Adorateur fétichiste, entre idolâtrie et pensée magique, il dresse un autel pour se recueillir devant la robe de mariée de la défunte suspendue dans le salon, respire l'odeur de son shampoing, laisse intacte l'empreinte des doigts d'Aura dans le pot d'exfoliant pour le visage... Au club de gym où il tente de fatiguer son chagrin, il sent "logé entre la colonne vertébrale et le sternum, [...] un rectangle dur et creux rempli d'un air tiède ».
Ce livre raconte bien sûr le deuil, le pénible chemin de croix du survivant - "je suis terrifié à l'idée de te perdre en moi » -, le désespoir d'arpenter seul le théâtre de la vie d'avant, les stratégies de survie mais il y a surtout la présence irradiante, impulsive et joyeuse d'Aura, sa vitalité, son rire, ses larmes, son enfance et son adolescence, ses ambitions. Et, précieuse, sa voix d'écrivaine en devenir, que l'on entend à travers des fragments de nouvelles, des textes retrouvés dans son ordinateur que Francisco Goldman, son premier admirateur, donne à lire.
La chronologie de l'accident - le décès d'Aura, quelques heures après avoir eu la nuque brisée par les vagues en faisant du bodysurf sur la plage mexicaine de Mazunte, sur la côte Pacifique - arrive pratiquement à la fin du récit, comme si l'écrivain avait reculé devant les mots. Accablé par cette double peine, celle d'avoir perdu la femme qu'il aimait, alourdie par l'horrible accablement de se tenir lui-même auteur de cette disparition et d'en être effectivement tenu responsable par la mère et l'oncle de la jeune femme, qui lui ont intenté un procès. Pourtant ce livre, lesté du manque et de la culpabilité autant qu'animé par moments d'une profonde et paradoxale joie, ne cherche pas à disculper : "Je ne suis pas au tribunal, je dois me tenir sans artifice devant les faits. »
Souffler sur la flamme de leur amour pour trouver Aura. La faire accéder à l'éternité via la littérature : un projet qui aurait sans doute touché la jeune femme. Elle qui, un jour, au Jardin des plantes à Paris, raconte son inconsolable mari, s'est désespérée de ne pas trouver les axolotls ces drôles d'amphibiens dont le nom est le titre d'une nouvelle de Cortazar.