Jeunesse

MeMo, la passion de l’impression

Yves Mestrallet et Christine Morault. - Photo O. Dion

MeMo, la passion de l’impression

Depuis vingt et un ans, les éditions MeMo vouent une passion au livre dans toute sa noblesse, avec le goût des caractères, du beau papier, de la qualité d’impression. Récompensée par une mention aux Bolognaragazzi pour L’ombre de chacun de Mélanie Rutten, la petite maison nantaise est à l’honneur ce printemps à la bibliothèque municipale Jacques-Demy de Nantes, qui lui consacre une grande exposition du 17 avril au 31 août.

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Par Claude Combet
Créé le 17.04.2014 à 19h31 ,
Mis à jour le 18.04.2014 à 09h43

On a fait les premiers livres par curiosité de la chose imprimée", explique d’emblée Yves Mestrallet (le "Me" de MeMo), et Christine Morault (le "Mo" de MeMo) renchérit : "C’est avec les imprimeurs qu’on a appris notre métier." Les deux fondateurs de MeMo, petite maison désormais entièrement consacrée à la jeunesse, revendiquent "un tas de livres inclassables, des bizarreries" depuis qu’ils l’ont fondée à Nantes en 1993. Leur premier titre, Les Indiennes de traite à Nantes, reproduisant les motifs de tissus imprimés destinés à la traite négrière au XVIIIe siècle et conservés au château des ducs de Bretagne, représente à la fois "le premier choc visuel avec les quatre animaux en couverture, et l’utilisation d’une technique, l’impression sur presse typographique". S’ils restent discrets sur leur parcours - Yves Mestrallet est architecte de formation et photographe, Christine Morault a fait des études artistiques et voyagé en Amazonie -, tous deux ont voulu développer un projet ensemble, fruit d’une passion commune pour l’impression.

Ce livre-là, pop-up de Malika Doray.- Photo O. DION

"Les gens nous imaginent toujours en train d’imprimer sur une presse à main à l’ancienne", s’exclame Christine Morault, "mais les techniques modernes nous permettent d’aller encore plus loin dans la précision", poursuit Yves Mestrallet. Modestement, ils ont commencé au rythme d’un titre par an, imprimé sur "une presse typographique" qui n’existe plus aujourd’hui, "grâce à la rencontre avec Pierre Pasco, maître imprimeur, et Daniel Vrignaud, de l’imprimerie Saint-Aignan, et sa presse Heidelberg". MeMo s’est d’emblée distingué par ses livres d’art, rares comme Quatremers le céleste, qui reproduit des gouaches chinoises du XIXe siècle, conservées au musée Dobrée (avec un texte de Lisa Bresner). Nantes : plans commentés propose 20 "calques sur mousseline 18 grammes, très difficiles à imprimer". Le Plan Cacault, 1756-1757 de Nantes, conservé au musée des Beaux-Arts, est gravé sur des plaques de zinc tout à fait étonnantes (on les verra dans l’exposition) qu’aucune imprimerie ne peut plus tirer à cette dimension. On leur doit aussi des catalogues d’expositions des musées ou de la bibliothèque municipale de Nantes comme celui de Jean-Emile Laboureur, illustrateur ou Jules Grandjouan. Sans oublier la revue de poésie Quaderno, dont le rédacteur en chef était le poète Philippe Beck, et ses jeux typographiques.

Quand la poésie jonglait avec l’image réunit quatre livres constructivistes russes : Le cirque, La glace, Hier et aujourd’hui, Comment le rabot a fait un rabot, écrits par Samuel Marchak et illustrés par Vladimir Lebedev. Illustrations en 20 tons directs. - Photo O. DION

En 1994, Cent comptines de Pierre Roy, publié à l’occasion d’une exposition sur le surréalisme, est le premier livre pour les enfants de la maison, qui en fera sa spécialité, "afin de leur offrir ce qu’il y a de plus beau". "Au début, on était fous. On a aquarellé à la main les 10 000 boules de la couverture (10 boules multipliées par 1 000 exemplaires), parce qu’on n’avait pas l’argent pour le faire faire", raconte Christine Morault. Ils ont aussi collé à la main les images de Drôles de bêtes d’André Hellé, réédité en liaison avec l’Association des amis d’André Hellé. "Nous sommes des "slow" éditeurs, nous prenons trois fois plus de temps que nos confrères pour imprimer", assument-ils, revendiquant le côté artisanal de leur métier.

 

Travail obsessionnel.

Un papier bouffant plutôt que couché, des typographies particulières, un travail minutieux voire obsessionnel de la couleur, une reliure toujours cousue… sont les symptômes d’une exigence sincère et de cette passion dévorante pour "la chose imprimée", désormais sur machine offset, qui relève d’un travail d’orfèvre. Pour la couverture du Hellé, imprimée en neuf couleurs, "il a fallu analyser les couleurs, couche par couche, pour retrouver celles qui donneraient le même rendu que l’original". Ils sont allés chercher les couleurs d’origine de Quand la poésie jonglait avec l’image de Samuel Marchak et Vladimir Lebedev, un recueil de quatre titres constructivistes pour les enfants parus entre 1925 et 1927, plus vives que celles des éditions suivantes ternies par les auteurs eux-mêmes. Les gravures d’Anne-Laure Sacriste, illustrant le recueil de poésie Marché Gobelin de Christina Rossetti (1830-1894), ont été imprimées en deux tons de noir, "un noir squelettique et un noir pour les aplats" afin de restituer la finesse du trait. Ils ont aussi voyagé jusqu’à Moscou pour rencontrer le petit-fils d’Alexandre Rodtchenko afin d’obtenir l’autorisation de numériser les plaques originales des Animaux à mimer. "Le vrai héros de Patavant et Patarrière, c’est le train. Je suis donc allé chercher la version PAO du caractère du British Railways grâce à la complicité d’un compositeur anglais qui travaillait à Paris", raconte Yves Mestrallet à propos de ce classique anglais des années 1950 de Geoffrey Sainsbury, qui raconte l’histoire d’un cheval coupé en deux par un train. "Quand nous choisissons une police, nous refusons qu’elle soit esthétique car elle doit accompagner le dessin. Nous n’aimons pas les caractères à empâtement, nous préférons les caractères bâtons. Et nous refusons les capitales sauf… dans MeMo", précise-t-il avec humour. Aujourd’hui encore, on les surprend en pleine discussion avec le directeur artistique, Julien Baudet, sur les nuances des différents tirages réclamés à l’imprimeur pour le catalogue de l’exposition.

 

Depuis 1994, MeMo s’est spécialisé dans la jeunesse, alternant la réédition "à l’identique" des classiques patrimoniaux - Walter Crane, Nathalie Parain (qui inaugura le Père Castor), Josef Capek, Remy Charlip - en s’appuyant sur "une communauté de bibliothécaires érudits et passionnés" comme l’association Les Trois Ourses et un réseau de passionnés du livre illustré. Mais MeMo est aussi l’éditeur des illustrateurs contemporains comme Anne Bertier (Le temps des couleurs), Janik Coat, Louise-Marie Coumont, Anne Crauzac, dont le Raymond rêve, le célèbre escargot, est le best-seller de la maison avec plus de 20 000 ventes, Malika Doray, Emilie Vast. La maison ne compte plus les récompenses, prix Sorcières, Bolognaragazzi, dont cette année une mention pour L’ombre de chacun de Mélanie Rutten, qui a aussi reçu le prix Brindacier 2014. Et si l’équilibre financier de la maison est précaire (elle a réalisé un chiffre d’affaires de 700 000 euros en 2013), l’équipe de sept personnes œuvre pour le bel ouvrage, le patrimoine présent et futur. Aussi MeMo a-t-il donné toutes ses archives à la bibliothèque municipale de Nantes, y compris originaux, carnets de croquis, documents rares (essais de couleurs, tissus, papiers peints) que la maison réclame à ses illustrateurs, pour laisser une trace "de ce qu’est le travail d’un éditeur au XXe siècle".

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