Lors de son prochain conseil d’administration, les 24 et 25 septembre à Rennes, le Syndicat de la librairie française (SLF) élira un nouveau président. Depuis plusieurs mois déjà, Xavier Moni, l’un de ses vice-présidents, cogérant de Comme un roman à Paris (3e), est pressenti pour succéder à Matthieu de Montchalin, P-DG de L’Armitière, à Rouen, qui assure cette fonction depuis six ans, après avoir lui-même été vice-président durant cinq ans. Avec un bilan salué par les uns, critiqué par les autres, ce dernier laisse une empreinte forte sur cette organisation créée en 1999.
"Le SLF s’est construit autour de la défense de la loi Lang avec une réunification des différents syndicats et groupements de libraires, rappelle Matthieu de Montchalin, qui revendique cet héritage politique mais aussi une volonté d’ouverture. Mon ambition a été à la fois de recruter de nouveaux membres et de nouveaux administrateurs qui soient apporteurs d’idées, et aussi d’élargir la palette d’interventions du SLF en proposant des services aux adhérents, comme le font déjà nos homologues européens."
Nouvelle génération
Sous sa présidence, le SLF a dû gérer une phase de transition délicate avec le départ de ses fondateurs, dont Josette Vial (Compagnie, à Paris), Christian Thorel (Ombres blanches, à Toulouse) ou encore Eric Hardin (Les Pavés, en Ile-de-France), et l’arrivée d’une nouvelle génération emmenée par Maya Flandin (Vivement dimanche, à Lyon), Xavier Moni (Comme un roman, à Paris) et plus récemment Amanda Spiegel (Folies d’encre, à Montreuil) ou encore François Céard (Alpine, à Gap). Fort de cette relève et de la fusion menée en 2012 avec l’historique Fédération française des syndicats de libraires (FFSL), le SLF a stabilisé le nombre de ses librairies adhérentes autour de 600, dont les deux tiers affichent un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 euros.
Conscient, dès son élection il y a six ans, de devoir fédérer et mobiliser, Matthieu de Montchalin avait annoncé dans son discours inaugural un programme fondé sur trois chantiers : le renforcement du SLF comme entité unie représentative de la profession, l’amélioration de la situation économique des libraires et leur accompagnement dans l’ère du numérique (1).
Pour obtenir une revalorisation de la situation économique de la profession, son défi majeur, le SLF s’est efforcé de faire jouer des leviers à la fois externes et internes. Il a d’ailleurs trouvé un écho favorable auprès de la ministre de la Culture à l’époque, Aurélie Filippetti, qui a lancé en 2013 un "plan librairie" d’une ampleur inédite : fonds d’avance en trésorerie de 5 millions d’euros placé sous la responsabilité de l’Ifcic, renforcement à hauteur de 4 millions des fonds d’aide de l’Adelc, augmentation de 2 millions du budget du Centre national du livre ou encore nomination d’un médiateur du livre. "Nous avons eu une ministre qui était prête à agir, se félicite Matthieu de Montchalin, et nous l’avons accompagnée autant que possible par un travail de lobbying. Le "plan librairie" a été une opportunité formidable que le SLF n’a pas laissé passer."
Se définissant lui-même comme un "opportuniste pragmatique", un "homme de compromis et de dialogue", le président du SLF a constitué, pour négocier le plan, un tandem équilibré avec le délégué général du syndicat, Guillaume Husson, fin connaisseur des arcanes politiques puisque ancien chef du département de l’économie du livre à la Direction du livre et de la lecture du ministère de la Culture. Dans la foulée, le binôme a aussi joué sa partition, en 2014, pour pousser à l’adoption de la loi dite "anti-Amazon" contre le port gratuit et pour le maintien de la TVA à 5,5 %.
Des outils, des services
"Ne lâchant jamais prise sur les dossiers", Matthieu de Montchalin a par ailleurs poursuivi le travail de son prédécesseur, Benoît Bougerol, pour obtenir des distributeurs une amélioration des conditions commerciales octroyées aux libraires. Et surtout, il a posé les bases d’un SLF capable d’offrir des outils et des services aidant les libraires dans l’évolution de leurs pratiques professionnelles. C’est cette orientation qui marque le plus son deuxième mandat au sein du syndicat animé par une équipe de cinq permanents. Entré en fonction au moment de l’échec retentissant du projet de portail de vente en ligne 1001libraires.com, Matthieu de Montchalin achève sa présidence avec le lancement en 2015 de l’Observatoire de la librairie et, plus récemment, du nouveau portail Librairiesindependantes.com. Parallèlement, le SLF a initié des sessions de formation, en association avec l’Institut national de formation de la librairie (INFL), et a lancé la première campagne de communication pour la librairie à l’échelle nationale, déclinable à l’envi avec la création de la marque ombrelle Librairies indépendantes. Enfin, les Rencontres nationales de la librairie, créées en 2011 sous le mandat de Benoît Bougerol, se sont imposées comme un rendez-vous biennal clé pour la profession et même l’interprofession.
L’aventure Sauramps
Si de nombreux libraires saluent le développement des actions de professionnalisation du SLF, d’autres regrettent le recul de sa dimension politique et militante. "Le combat a changé, déplore l’un d’entre eux, qui préfère garder l’anonymat, la technique et la gestion ont pris le dessus." De même, si la politique de communication du SLF, portée par la personnalité médiatique de Matthieu de Montchalin, a offert à la librairie une visibilité accrue dans le grand public, elle a parfois agacé. "Matthieu énerve beaucoup, estime un professionnel, lui aussi anonyme. C’est un très bon communicant, qui a su redorer le blason de la librairie indépendante, mais qui, pour cela, a transformé la réalité… beaucoup moins éclatante."
Sans parler de la difficile entrée des libraires dans le numérique, la consolidation de leur situation économique reste encore fragile, et la perspective d’un gain de rentabilité fixé à 2 % encore éloignée. Alors que son patron présidait le SLF, lui consacrant en moyenne trois jours par semaine, la librairie L’Armitière a connu, elle aussi, d’importants problèmes financiers. Elle a pu se réorganiser, redresser le cap et redevenir bénéficiaire grâce aux aides de l’Adelc et du CNL, mais elle doit encore sortir de sa phase d’endettement. Toutefois, c’est surtout son projet avorté de reprendre Sauramps à Montpellier qui assombrit le parcours du chef d’entreprise.
Aujourd’hui, à quelques jours de son départ de la présidence du SLF, une fonction qu’il a "adoré exercer" et qui lui a "beaucoup apporté à titres personnel et professionnel", Matthieu de Montchalin, dont le mandat de membre de directoire du syndicat ne s’achève que dans deux ans, assure avoir déjà de nouveaux projets "à l’échelle de la profession". Quant à son successeur à la présidence du SLF, il y a tout lieu de penser qu’il poursuivra le virage amorcé autour du développement des outils de professionnalisation.
(1) Voir LH 878, du 23.9.2011, p. 52.