Soleil vert, le film culte de Richard Fleischer sorti en 1973, imaginait le monde en 2022. Cette dystopie mettait au cœur du drame la question des ressources désormais épuisées par l'homme. Pour comprendre ces notions si actuelles de ressources et de besoins, Mathieu Arnoux fait un saut dans le passé, dans l'Europe médiévale. Entre le XIe et le XIVe siècle, dans une période qui connut de grandes famines, le rapport des hommes à la nature est très différent. Pour l'appréhender, l'historien, directeur d'études à l'EHESS et directeur de la collection « L'évolution de l'humanité » chez Albin Michel (dans laquelle il publie cet ouvrage), propose de revenir à l'étymologie du mot « ressource », tiré d'un vieux verbe tombé en désuétude, « resourdre », c'est-à-dire « ressusciter », « se remettre debout » ou encore « se rétablir ».
On voit bien la dimension religieuse de ce concept, notamment à travers les débats à l'abbaye de Cîteaux avec ses bons usages des pauvres et de la misère. Et bien évidemment, cette enquête fouillée nous présente les controverses politiques et juridiques qui se sont déroulées avec en toile de fond le rire populaire et moqueur du Roman de Renart. Il ne s'agit pourtant pas d'une histoire environnementale. « D'une certaine manière, le Monde sans ressources que j'étudie pourrait aussi être intitulé Monde sans environnement. Les femmes et les hommes du Moyen Âge n'étaient pas plus placés face à l'environnement que nous ne le sommes. Ils étaient comme nous les éléments d'un continuum corps-vêtement-maison-territoires dont, pour eux comme pour nous, les limites étaient mouvantes et difficiles à appréhender. »
Dans ce travail passionnant, Mathieu Arnoux revient ainsi à travers l'exemple de Paris sur l'idée d'une croissance économique forcément corrélée à l'innovation technologique ou à l'accès à des richesses naturelles nouvelles. La sobriété médiévale mise en place avec un système de ressources renouvelables en flux a ainsi été capable de nourrir une population parisienne de 250 000 habitants à la fin du XIIIe siècle, sans engrais ni machines.
Il y a dix ans, dans Le temps des laboureurs (Albin Michel, 2012), Mathieu Arnoux avait montré les causes sociales de la croissance économique et démographique au Moyen Âge et comment les paysans avaient façonné les paysages que nous connaissons encore aujourd'hui. Avec Un monde sans ressources, il prolonge ce questionnement sur ce qui nous a conduits à considérer la Terre comme une réserve de marchandises et la nature comme un décor. Car cette question des ressources revient à poser celle des rapports entre les moyens et les fins. « Nous la posons pour répondre à des préoccupations qui sont les nôtres, aujourd'hui. » La crise que nous subissons est aussi la conséquence de notre vision du monde et de l'idée d'une croissance infinie dans un espace fini. Soleil vert s'achevait sur la révélation épouvantable d'une humanité devenue cannibale. Il serait peut-être temps d'envisager des solutions moins carnassières...
Un monde sans ressources. Besoin et société en Europe (XIe-XIVe siècles)
Albin Michel
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 25 € ; 368 p.
ISBN: 9782226477583