1er février > roman Etats-Unis > Vivian Gornick

"Je pense que de nos jours, l’amour se mérite. Même l’amour filial." Un verdict qui n’accable personne, mais qui résume bien la pensée de Vivian Gornick. Les livres et les chroniques de cette intellectuelle incontournable de l’autre côté de l’Atlantique sont emblématiques d’une certaine Amérique. Cette forte personnalité creuse un sillon autobiographique. Elle dresse non seulement son portrait, mais pointe les revers d’une société idéalisée.

Ici, l’octogénaire revisite la façon dont son enfance a façonné la femme qu’elle est devenue. "Très tôt, j’avais compris la nature hasardeuse de la plupart des attachements. C’est à maman que j’appartenais." Cette "Anna Karénine" surpuissante, envahissante et castratrice pèse de tout son poids sur la famille. Installée dans le Bronx, celle-ci vit dans un immeuble qui ressemble à un mini shtetl. L’ambiance y est très féminine. Sous la plume de Gornick, les voisines constituent une galerie de personnages savoureux. Elles abordent, sans tabou, les déboires d’une vie conjugale et sexuelle insipide. Un sermon leur sert de refrain : "C’est l’Amérique ici. Tu es une femme libre."

Dire que la narratrice est supposée devenir une parfaite fille juive… Quelle pression ! La chape de plomb s’alourdit lorsque son père meurt prématurément. Brusquement, l’appartement sombre dans le chagrin. Vivian trouve sa rédemption en devenant écrivain. Mais le rapport mère-fille demeure pesant, omniprésent. Il vire tantôt à la comédie, tantôt à la tragédie. "Ce rêve de vie normale nous taraudait. Chacune de nous avait besoin de se sentir particulière, chacune bouillonnait en elle-même. Or ce bouillonnement nous détruisait."

Ce mélange d’amour-haine leur est insupportable, mais indispensable. Seul moment de répit, leurs promenades dans les rues de New York. "Ma mère est une paysanne urbaine et moi, je suis la fille de ma mère. Cette ville est notre élément. Comment ne pas rester fidèle à sa fidélité ?" Le ton tranchant de ce livre ne laisse aucune place au sentimentalisme. Il est servi par un humour cruel.

Kerenn Elkaïm

20.01 2017

Auteurs cités

Les dernières
actualités