Margot Gallimard détonne dans son bureau biscornu, à la moquette immaculée, situé au premier étage des prestigieuses éditions Gallimard. Son regard bleu perçant accompagne un discours empli d'ardeur, féministe et politique. Depuis janvier, cette femme de 33 ans dirige la collection "L'imaginaire", fondée en 1977 par son père, Antoine Gallimard, P-DG de Madrigall.
C'est son premier poste au sein de la maison d'édition familiale. Jusqu'ici, ses liens avec l'édition se résumaient à la lecture informelle de manuscrits et à quelques captations vidéos pour la galerie Gallimard. Vidéaste, c'est l'image qui la fait vibrer. Elle a déjà tourné un premier court-métrage et s'apprête à passer en septembre devant la commission "avance sur recettes" du CNC afin d'obtenir le financement nécessaire pour son premier long-métrage, l'adaptation de Tenir jusqu'à l'aube de Carole Fives (Gallimard, 2018). Un deuxième long-métrage est lui aussi en cours de développement.
Dialogue entre générations
Et l'édition ? Si elle est née dedans, son amour des livres, assure-t-elle, va au-delà de la transmission familiale. "Je trouve ça magique. Magique de rencontrer les auteurs que je lisais l'été, de leur faire signer ce livre que j'avais chéri pendant des semaines, le temps de la lecture. J'aime les écrivains, je les vénère".
Au sein de "l'Imaginaire", Margot Gallimard remet en lumière des textes du fonds, signés par des écrivains français comme étrangers, "estimés par le passé, aujourd'hui méconnus. Des pépites incroyables", défend-elle. Comme Andrée Viollis, "tout aussi connue qu'Albert Londres" mais aujourd'hui tombée dans l'oubli. Elle publie au début du XXe siècle Criquet, l'histoire d'une jeune fille qui se rêve en garçon. Réédité par Gallimard dans les années 1930, le texte réapparait en juin chez "l'Imaginaire", préfacé par l'auteure Constance Debré et la journaliste et activiste LGBT+, Clémence Allezard.
Féminisation
"Le constat est simple, reprend Margot Gallimard. Lorsque je me suis plongée dans "l'Imaginaire", j'ai compté 31 autrices contre 320 auteurs. Cela m'a révoltée ! Aujourd'hui j'ai donc envie de mettre ma pierre à l'édifice en politisant la ligne éditoriale. Si l'on veut créer un nouvel imaginaire collectif, il faut pouvoir créer une mémoire objective littéraire, il faut donc mettre plus de femmes en avant".
L'éditrice publie au deuxième semestre cinq livres, signés Hélène Cixous, Chantal Akerman, Hervé Guibert, Edouard Glissant et Alice Guy, la première femme cinéaste de l'histoire. Les textes seront préfacés par des figures contemporaines variées, de la journaliste et critique de cinéma féministe Iris Brey pour Alice Guy à l'écrivain Jean-Baptiste del Amo pour Hervé Guibert. Elle souhaite construire une toile, "un réseau sororal littéraire", à travers cette collection qu'elle a "rechartée".
Margot Gallimard, une rebelle nouvellement arrivée dans une maison patrimoniale ? "Je crois que le mot féminisme fait encore un peu peur, mais j'ai été très bien accueillie par l'ensemble des équipes et je suis émerveillée tous les jours par mon travail."
Dans la succession
Elle est donc la troisième fille d'Antoine Gallimard à intégrer le groupe. Ses sœurs aînées, Charlotte, 40 ans, et Laure, 38 ans, s'occupent respectivement de la direction de Casterman et de la recherche et du développement de la maison. Laure Gallimard pilote aussi Synoptico, la filiale maison de production audiovisuelle.
Pour l'instant, Margot Gallimard ne se prononce pas sur son avenir et ses deux passions. Elle sourit: "L'édition c'est sous mes ongles, le cinéma c'est dans mon coeur. Je ne sais pas ce qui fait le plus mal quand on l'enlève".
